1348 rue Torrence

 

Rue Torrence, à Montréal.

Se pourrait-il qu’un tueur en série ait sévi à Montréal dans les 1960 avant de disparaître définitivement sans que personne puisse l’identifier?

C’est du moins ce que des journaux de l’époque nous laissent comme héritage.

Le 13 juillet 1963, La Presse mentionnait qu’on avait retrouvé, la veille, le corps d’un homme nu dans une maison désaffectée située au 1348 rue Torrence, dans l’ouest de Montréal. Il avait encore une serviette enroulée autour de son cou. À l’époque, si on se fie aux journalistes, il s’agissait d’un quartier noir. On s’est même amusé à le surnommer le Harlem de Montréal.

L’article mentionnait qu’il s’agissait probablement d’un autre règlement de compte de la pègre, mais on était probablement loin du compte. L’identité de la victime n’était pas encore connue. Le lecteur avait eu droit à deux paragraphes seulement.

Puis, dans le Dimanche-Matin du 14 juillet, on apprenait qu’au matin du samedi 13 juillet, au lendemain de la découverte du corps, la police était en train d’interroger un suspect, un homme de race Noire. Le défunt hebdomadaire laissait clairement entendre qu’il s’agissait peut-être du tueur. Comme on ne pouvait nous en dire davantage sur le bonhomme, on est revenu sur des détails supplémentaires en lien avec la scène de crime : « L’homme était allongé sur le dos, complètement nu. Il n’avait que ses bas. Le meurtrier s’est vraisemblablement servi des pointes de sa chemise pour l’étrangler proprement, en deux temps et deux mouvements.

À propos du suspect, on nous apprenait que « le noir que les limiers détiennent, ne serait pas, d’après les informations recueillies, un enfant de chœur. Il aurait laissé aux États-Unis un dossier judiciaire assez imposant. » La police le suspectait également d’avoir commis d’autres agressions, entre autres sur des femmes. Il aurait commis des crimes similaires au sud de la frontière et on a dit que les autorités américaines étaient à ses trousses.

Serviette ou chemise? Tout dépends du journal qui a couvert l’affaire.

Le 16 juillet 1963, La Presse soulignait qu’on n’avait toujours pas identifié la victime, mais on a précisé qu’au moment d’être attaqué il portait un coupe-vent sur lequel était inscrit « Vancouver ». Et à l’envers de sa ceinture on a retrouvé l’inscription « John K. Hall ».

En effet, on a fini par identifier la victime du 12 juillet. Il s’agissait John Kenneth Hall, un jeune itinérant de 29 ans.

Jusque-là, me direz-vous, pas de quoi en faire un plat.

La première victime se nommait Arthur Morgan.

Mais voilà! Il y a l’article de Claude Lavergne, publié quelques mois plus tard, le 2 avril 1964. Celui-ci n’y allait pas du dos de la cuillère en titrant son article « Le monstre du Harlem montréalais est toujours au large. » Selon lui, le fameux tueur avait fait trois victimes, le minimum pour parler de tueur en série. Évidemment, cette expression n’existait pas encore. Elle ferait son apparition une quinzaine d’années plus tard au sein du département des science comportementale du FBI.

Lavergne semait même la peur en écrivant que « Rien n’indique, à ce moment, que la Justice pourra lui mettre la main dessus, à moins qu’il n’en vienne à réclamer une nouvelle victime. »

Rien de nouveau, son suspect était un Noir[1] mesurant plus de 6 pieds et musclé. Cet homme, dont il ne donne jamais le nom, avait tendance à changer de comportement lorsqu’il avait bu. En plus de ses victimes, il aurait sauté à la gorge de sa propre mère à deux reprises. « Pendant près d’un an, ce Noir était devenu un habitué des tavernes et des cafés du Harlem montréalais, ce secteur de la rue Saint-Antoine habité en majeure partie par des gens de couleur. »

Toujours selon Lavergne, le mystérieux tueur aurait fait sa première victime le 16 novembre 1962. Eh oui, vous avez vu juste. La scène de crime se situait au 1348 rue Torrence. Arthur Morgan, 43 ans, a été retrouvé dans un placard situé sous l’évier. Les journaux l’ont décrit comme un sans abri, ou un robineux, comme on le disait à l’époque. Morgan était lui aussi presque complètement nu quand on l’a trouvé.

Huit mois plus tard, John Kenneth Hall, 29 ans, était retrouvé nu au 1348 rue Torrence. Le tueur avait donc sévi au même endroit.

Lavergne a fait un lien avec une troisième victime, celle-là assassinée en septembre 1963. En effet, le 7 septembre 1963, on a découvert le corps de Joseph Gagnon, mais cette fois dans la petite rue Saint-Jean-Baptiste. Le tueur avait-il changé de lieu, maintenant que l’adresse du 1348 était devenue célèbre?


Quoiqu’il en soit, Gagnon était lui aussi un itinérant qui a été tué par strangulation.

Le journaliste Claude Lavergne avait-il trouvé l’assassin? Ce qui est certain, c’est qu’il connaissait son identité, donc la police aussi. Malheureusement, il ne l’a pas nommé. Et s’il n’a pas été accusé officiellement, alors c’est qu’on manquait de preuve solide.

Le plus étrange, c’est que les journaux n’ont pas fait de suivi de l’affaire. Le sujet s’envole aussi rapidement qu’il est apparu dans les pages papiers des grands quotidiens. Le tueur en série s’est-il arrêté parce qu’il a trouvé un autre hobby ou parce qu’il a été arrêté pour un autre crime? Est-il retourné aux États-Unis pour fuir les autorités québécoises?

Ou alors, est-ce qu’on a tourné le dos au dossier parce que les victimes étaient des itinérants?

Pour tenter d’en savoir davantage, je viens de faire une requête pour obtenir copie des enquêtes de coroner concernant les deux premières victimes. Nous verrons bien si ces documents ont quelque chose à nous apprendre.

 



[1] Signe des temps, dans son article de 1964 Lavergne utilisait le mot Nègre.

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