Louis-Georges Dupont: La CPQ de 1969
Il existe vraisemblablement deux manières de voir la position du conseiller Gaston Vallières. D’un côté, il y a la réputation de celui qui a voulu « faire le ménage », et de l’autre l’homme qui a peut-être contribué à salir l’image de la police de Trois-Rivières. Rappelons-nous qu’au printemps 1969 tous les détectives du poste no. 1, y compris Louis-Georges Dupont, s’étaient réunis pour lui intenter une poursuite.
Les
transcriptions sténographiques de l’enquête de la Commission de police du
Québec de 1969 ont été détruites en 1977 afin d’économiser de l’espace physique
dans les voûtes des archives nationales. Cette perte nous oblige à nous tourner
vers le procès-verbal et les articles de journaux afin de tenter une
reconstitution qui, espérons-le, pourra nous éclairer davantage.
Mardi, 12 août 1969
Les
audiences de la CPQ se sont ouvertes le 12 août 1969 au palais de justice de
Trois-Rivières. L’enquête était présidée par le juge Roger Gosselin et le
commissaire Gérald Tobin. Me Raymond Boily était procureur de la CPQ. Me Gaston
Gamache et Me Guy Lebrun représentaient l’Association des policiers et pompiers
de Trois-Rivières. Quant à Me Jean Méthot et Me Lucien Comeau, ils défendaient
les intérêts de la Corporation de la Cité de Trois-Rivières. Le rôle de la CPQ
était d’enquêter sur l’organisation, la formation et l’administration du corps
policier.
Figure 1.
Le juge Roger Gosselin, à gauche, et le commissaire Gérard Tobin.
Le
tout premier témoin appelé fut le greffier Georges Beaumier, 56 ans. Il semble
que sa présence à la barre ait principalement servi au dépôt de documents, tels
des résolutions d’embauches concernant les détectives, incluant Louis-Georges
Dupont. Ainsi, on présume que Dupont était sous enquête, au même titre que ses
collègues.[1]
Le
directeur J. Amédée Delage fut ensuite entendu pour déposer en preuve d’autres
documents, dont des rapports, et une formule « autorisant perquisition
maisons de débauche ». En après-midi, un huis clos fut accordé à Me Boily
et le public dut quitter la salle. Soulignons seulement au passage que les huis
clos, comme le phénomène des documents manquant ou détruit, suscite souvent
chez le public une réaction exagérée, à savoir d’imaginer les pires choses. Toutefois,
les huis clos servent également – et probablement la plupart du temps – à
protéger l’identité de certaines personnes ou des renseignements personnels.
Après
l’apparition du sergent Guy Poisson, le directeur Delage fut rappelé à la barre
avant qu’on ajourne de 15h00 à 20h15. À partir de là, on entendit le conseiller
municipal Gaston Vallières. Un autre huis clos fut prononcé, mais cette fois en
obligeant Jean-Marie Hubert et Paul Dallaire à rester dans la salle pour
entendre ce que l’échevin avait à dire. C’est donc dire que le contenu du
témoignage de Vallières les concernait.
C’est
le journaliste Jean-Paul Arsenault qui nous en donne un aperçu de ce qui a été
dit ce soir-là. Le lendemain, il écrivait que, interrogé par Me Boily,
Vallières « a mis toute cette affaire en branle par ses déclarations
fracassantes du mois de mars dernier, a raconté comment lui était venu la
décision d’agir comme tel. D’abord a-t-il dit, des remarques m’avaient été
faites par d’autres conseillers et par le public, concenant [sic] la Moralité
chez nous. Puis survinrent deux comptes de dépenses présentés par les
détectives de ce secteur, document parfaitement identique …$55 chacun pour un
mois d’opération! »[2]
Or, ces dépenses n’étaient pas détaillées, et arriva « en novembre 1968,
l’éclatement de la bombe approche, une première visite est faite au domicile du
conseiller Vallières. Le président de l’Association des Policiers et Pompiers
de Trois-Rivières, le sergent Herman Thibeau vient y discuter de
l’administration du corps de police. Son hôte, M. Vallières, lui souligne qu’il
désire annoncer une enquête sur la section Moralité. Le policier lui répond que
le conseil de ville est là justement pour agir … « S’il faut faire le
ménage je le ferai! » lui répond le conseiller. Nous sommes encore en
1968, en novembre, mais déjà l’enquête pointe à l’horizon… »[3]
À
la fin du même mois, Vallières reçut la visite de Paul Dallaire, « qui a
lui-même demandé à être entendu. Notre rencontre a durée environ une
demi-heure, se souvient le conseiller. « Il m’a décrit la manière employée
par ses collègues relativement aux prostituées! » Il m’a aussi dit que
lui-même contrôlait les filles de joie en permettant que six, huit ou douze
d’entre elles opèrent dans chaque établissement selon son importance… Que
c’était là la meilleure méthode pour contrôler la prostitution! ». »[4]
Dallaire lui
aurait également confié son souhait de ne plus travailler avec certains
individus en particulier mais qu’il était désormais trop impliqué. Quant à sa
façon de procéder avec les prostituées, Dallaire possédait leurs adresses, les
suivait et « exigeait d’elles un examen médical périodique lorsqu’elles
comparaissaient en Cour! ».[5]
Vallières
aurait fait sa propre petite enquête, au point de se rendre, en novembre 1968,
dans trois des établissements visés. Dans le dernier, il crut avoir été
reconnu. « Il faut dire qu’aux deux premiers établissements, qui n’ont pas
été nommés en Cour, l’échevin était seul. Pour le troisième, inconnu lui aussi,
il avait cru bon de se faire accompagner d’un copain. […] Lors de ces trois
« sorties », le conseiller a constaté qu’il « pouvait » se
faire du racolage à ces endroits et que les prostituées attendaient les offres.
« Êtes-vous bien sûr qu’il s’agissait de prostituées? Mon copain me l’a
dit, s’est souvenu M. Vallières. « L’une d’elles m’avait même demandée de
lui payer une consommation… »[6]
Pour
sa part, La Presse retint de cette première journée d’enquête que le
directeur Delage « ignorait totalement ce qui se passait au sein de la
Sûreté municipale et que les seuls contacts qu’il avait avec son bras droit, le
capitaine Georges Gagnon, se faisaient par téléphone. […] M. Delage a également
déclaré que personne à la sûreté ne travaillait en fin de semaine, hormis en de
rares circonstances. Donc aucune surveillance ne s’effectuait dans les clubs de
nuit et dans les hôtels de la ville du vendredi soir au lundi matin. À la
question du juge Gosselin : « L’escouade composée de neuf détectives
est-elle efficace? », le directeur de la police a répondu : « Je
l’ignore et je n’ai pas cherché à le savoir. » Une autre question fut
posée : « Qui est responsable de l’escouade de la Moralité? »
Réponse : « Le sergent Paul Dallaire, mais je ne sais pas depuis
combien de temps, peut-être depuis 2, 3 ou 4 ans. Je l’ai rencontré en une
seule occasion à la suite d’une plainte alors qu’il était chargé de contrôler
les femmes de petite vertu. Notre entrevue a duré trois ou quatre minutes. Je
lui ai demandé de changer sa façon de travailler auprès des prostituées.
Lorsque le juge lui demanda si Dallaire avait changé sa façon de travailler par
la suite, M. Delage a dit : « Je n’ai pas vérifié, ça ne m’est pas
venu à l’idée. » »[7]
Le
directeur Delage aurait également admis ne jamais avoir tiré avec une arme de
poing et n’avoir suivi aucune formation de perfectionnement.
13 août 1969
La
seconde journée d’audiences vit le greffier Beaumier venir déposer d’autres
documents avant que Gaston Vallières soit rappelé. Beaumier déposa des
documents démontrant que « l’établissement Jeannine Spaghetti House ne
possédait aucun permis de vente d’alcool. On déposa également les permis de la
Régie des Alcools accordés à Gustave Richer pour l’Hôtel des
Trois-Rivières Ltée, à Antoine Vézina pour l’Hôtel Manoir Laviolette, à
Albert Guimond pour l’Hôtel Bonaventure, à Pierre Pagé pour l’Hôtel St-Louis, à
Joseph T. « Joe » Guay pour le Club St-Paul, à Robert Perreault pour
le Miche No 1 et à Mme Yvette C. Lafond pour la Taverne St-Georges. »[8]
Le
lendemain, dans Le Nouvelliste, on
rapporta quelques détails quant aux paroles lancées par Vallières devant la
CPQ. Entre autres, il aurait dit : « J’ai été provoqué avant de faire
ma déclaration au mois de mars ».[9]
Ce fut ensuite à Me Gamache de l’interroger : « L’avocat a
premièrement demandé à M. Vallières quelle origine pouvait avoir la discussion
du 17 mars, celle qui devait précéder la fracassante déclaration. « Je
n’en connais pas », a riposté le conseiller municipal. « Mais vous
avez été provoqué par qui? l’a-t-on sommé de déposer… « Par le secrétaire
de l’Association des Policiers, M. Gaston Laliberté! » »[10]
Pour
continuer le récit de cette soirée du 17 mars 1969, on rappela le conflit de
travail tournant autour du fait que le contrat était expiré depuis le 31
décembre 1968. « Suite aux négociations, il fut question de prostitution à
Trois-Rivières. Il fut question aussi de plaintes enregistrées par M.
Vallières. Des plaintes de serveuses de restaurant à qui on demandait de monter
à bord d’automobiles. Les faits se précisaient laissant présager le dénouement
tout proche … Relativement aux doléances des serveuses, telles que mentionnées
par le conseiller Vallières pendant l’échange verbal avec le secrétaire
Laliberté de l’Association des Policiers, l’échevin a soutenu qu’il lui avait
été répondu : « Oui, et quand on ne le fait pas … Ça les
choque! » C’est à cet instant, de souligner le témoin Vallières que le
président de l’Association, M. Herman Thibeau est intervenu pour
trancher : « Au lieu de laver ce linge sale avec les journalistes, il
serait préférable de siéger en comité! » La discussion allait atteindre
son point culminant avec la remarque fait par le secrétaire Laliberté à
l’intention du conseiller Vallières : « Il m’a dit que je ferais un
bon détective dans la prostitution! » »[11]
C’est
cette réplique qui, apparemment, avait poussé Vallières à choisir l’avenue de
la dénonciation en plus de déclarer que la prostitution était florissante à
Trois-Rivières et qu’elle était supportée par certains membres de la police.
Quant
au témoignage de Beaumier, Le Nouvelliste
revint brièvement sur la question en soulignant que sa présence avait servi à
analyser la question des permis et « de constater un état de choses qui a
quelque peu surpris les représentants de la Commission de Police. L’auditoire
aussi en est demeuré perplexe. M. Beaumier venait tout juste de renseigner le
tribunal que chacun des documents devaient être en force « au début »
de l’année. Or, pour celle en cours, six seulement des permis de cette nature
sont valables : les autres, au nombre de cinq ne semblent pas avoir été
renouvelés à date. Et nous en sommes au mois d’août. »[12]
Sous serment, Beaumier aurait affirmé que c’était la première fois que cela se
produisait.
Parmi
les pièces déposées en preuve, on retrouvait un document concernant « la
taxe d’affaires pour 1968 payée par Gino Spaghetti, propriété de Pierrette
Monique, et le permis de tenancier de la Taverne St-Georges située au 226 de la
rue St-Georges à Trois-Rivières pour l’année 1968 ».[13]
Par la suite,
il semble que le témoin le plus important de cette deuxième journée fut un
dénommé Roger Dion, 50 ans, décrit comme un journalier à l’emploi de la ville.
Cette fois, on obligea les détectives Paul Dallaire et Lawrence Buckley à
demeurer dans la salle pour entendre ce témoignage. Selon Photo-Police, Dion « aurait assisté au cours de l’année 1966
et de l’année 1967 à la remise de pots-de-vin à deux détectives de la force
constabulaire de Trois-Rivières. »
Dion raconta
avoir travaillé durant plusieurs années à un kiosque de roue de fortune à
laquelle on invitait les gens à effectuer des mises allant de 0.25$ à 5.00$.
Dion y était considéré comme sticker,
c’est-à-dire une personne qui se faisait passer pour un client afin de laisser
aux autres l’impression qu’ils pouvaient gagner plus aisément. Toutefois, selon
le témoignage de Dion, personne n’a jamais rien gagné autour de ce kiosque. Un
client se serait même fait flouer d’une somme de 600$. En contrepartie, Dion
fut incapable de fournir le nom du propriétaire du kiosque.
Il
dira avoir vu son patron remettre deux billets de 20$ en 1967 « à un autre
employé du même kiosque pour aller les remettre à deux policiers qu’il
identifie, et ajoute qu’au cours de l’année 1966, il a vu la même chose se
produire mais il n’identifie que l’un des deux policiers à qui, au cours de
1966, de l’argent aurait été remis. »[14]
Le
lendemain, Jean-Paul Arsenault écrivait que « Le silence le plus complet
s’est fait en Cour, tous n’avaient d’oreilles que pour la déposition d’un
employé de la cité de Trois-Rivières, M. Roger Dion. Tous y compris le
procureur de l’Association des Policiers, Me Gaston Gamache qui a immédiatement
demandé le huis clos. « Le public ne doit pas savoir, d’invoquer Me
Gamache, ce qui ne servirait qu’à ternir la réputation d’un tel ou d’un tel …
Nous ne sommes pas au procès. » […] Le juge Roger Gosselin, président du
tribunal a tranché le litige en ces termes : « Le huis clos n’est pas
prononcé, mais les noms qui seront mentionnés ne devront pas être publiés par
la presse… ». »[15]
De
plus, un témoin âgé de 20 ans, dont le nom ne fut pas mentionné tout de suite,
est venu dire sous serment : « J’ai rencontré un détective sur la rue
et lui ai remis $200 pour arranger ma cause! […] Voici ce qu’il avait à dire,
du moins ce qu’il nous a été possible d’écouter avant l’imposition du huis clos
à la fin de sa déposition. Il faut dire qu’au terme de son témoignage, le jeune
témoin a mentionné au juge Gosselin qu’il serait « plus à l’aise »
pour parler si la salle était évacuée. Ce qui fut fait à l’instant par le
magistrat. »[16]
Une
plainte avait été déposée contre ce jeune homme le 9 décembre 1968 et un
jugement avait été prononcé le 28 janvier 1969. Toutefois, on comprend que ce
jugement était attendu pour le 28 juillet 1969. Sa rencontre avec le détective,
qui se serait faite « par hasard » près du rond-point, mettait en
scène le détective qui « était en auto et c’est moi qui lui a fait signe
de s’arrêter, avoue le témoin condamné en janvier à $150 d’amende ou trois mois
de prison pour une cause inconnue pour l’instant. La durée de la rencontre?
Cinq à dix minutes, raconte le jeune homme. »[17]
En fait, ce pots-de-vin était destiné à accélérer le processus de sa cause
entendue devant la Cour du Bien-être social.[18]
Le
procès-verbal nous permet d’identifier ce jeune témoin comme étant Denis Blais,
dont l’occupation est mentionnée comme « checker pour la voirie ».
Quant au détective visé par ses propos, on y soulignait que « l’huis clos
est prononcé pour la dernière partie du témoignage de Denis Blais, à
l’exception de M. Hubert qui demeure présent ».[19]
Toujours selon
le procès-verbal, « Mme Denise Blais, née Filion, 43 ans[20],
la mère du jeune témoin, est apparue elle aussi devant la CPQ. Elle se décrivit
comme une secrétaire de la Croix-Rouge habitant au 717 rue Chamflour, à
Trois-Rivières. Pendant que les détectives Clément Massicotte, Fernand
Thibeault, Jean-Marie Hubert, Paul Dallaire et Lawrence Buckley assistaient à
son témoignage, la mère dira avoir vu dans la chambre de son fils une
importante liasse d’argent.[21]
De
plus, une « ordonnance est rendu par le juge Gosselin à Norman Burns,
Claude (alias Plume) Laplante et Pierre Bouchard d’être exclus de la salle des
audiences pendant le déroulement de la présente enquête, de même que l’accès au
palais de justice leur est fermée et il leur enjoint de ne pas tenter de parler
directement ou indirectement à quelques témoins pouvant être assigné au cours
de la présente enquête. À défaut de quoi ils seront passibles de mépris de
Cour. Ces trois personnes durent quitter immédiatement le Palais de
Justice. »
Photo-Police n’hésita pas une seconde à
mentionner que Burns, Laplante et Bouchard étaient connu « des milieux
interlopes de Trois-Rivières » et qu’ils avaient quitté la salle en riant.
La Presse n’a rien rapporté à propos
de cet incident, mais a tout de même souligné que « le trésorier de la
ville, M. Jacques Charrette, a laissé entendre que jamais de notes explicatives
n’accompagnaient les comptes de dépenses des détectives affectés à la moralité. »[22]
14 août 1969
Au
matin du 14 août, « Dès la reprise des procédures hier matin, Me Guy
Lebrun procureur de l’Association des policiers et pompiers s’en est pris
violemment à un compte-rendu diffusé par un médium d’information de notre
région. Énergiquement, ne mâchant pas ses mots, l’avocat a mis le juge Roger
Gosselin au courant du fait suivant : la veille, il avait entendu, au
cours d’un bulletin de nouvelles télédiffusé, le speaker annoncer que des faits
avaient été prouvés au cours des témoignages de la journée. Indigné, Me Lebrun
a mis la Commission de Police en garde face à cet état de choses… « Rien
n’a encore été prouvé, a lancé l’avocat. On témoigne, on dépose, il y aura des
contre-interrogatoires : mais aucun fait n’a encore été prouvé à ce
stage! » »[23]
Ainsi, le juge Gosselin avait aussitôt conseillé aux journalistes de s’en tenir
à ce qui était dit en Cour.
La
crédibilité de certains témoins aurait été problématique puisque Me Lebrun
demanda à ce qu’on puisse consulter les dossiers judiciaires de plusieurs
d’entre eux « pour démontrer la valeur des témoignages à l’intention du
public… »[24]
Toutefois, en se justifiant par le fait que la présente enquête n’avait pas
juridiction sur ces antécédents, le juge Gosselin rejeta cette requête.
La CPQ
entendit alors le témoin Irène Paquet, 26 ans, épouse d’Armand Brière. Dans le
procès-verbal, on peut lire que « Messieurs Hubert et Dallaire sont
présents au cours de la première partie du témoignage. Monsieur Dallaire seul
est présent pour la continuation du témoignage. »[25]
Le nom d’Irène
Paquet n’a pas été publié dans les journaux, mais par le procès-verbal on en
déduit que c’est à elle que référait l’article de Jean-Paul Arsenault. En
rapportant les paroles de la jeune femme, celui-ci écrivait : « Je sortais
avec des gens pour de l’argent! C’était, hier, le témoignage d’une fille
publique […]. « Je pratiquais la prostitution dans un hôtel de
Trois-Rivières! Les premiers mots étaient lâchés, le reste allait être long,
très long. Stupéfiant même. Pour l’information du public, comme l’avait fait
remarquer Me Guy Lebrun avant le questionnaire, précisons qu’il s’agit toujours
de témoignages, de dépositions et que rien n’est prouvé au stage actuel de
l’enquête. […] Un certain soir, le témoin était arrivé à Trois-Rivières depuis
deux semaines, elle raconte qu’un membre de la Sûreté, membres de l’escouade de
la Moralité, lui a demandé ses noms, adresses et lieur d’origine. « Il m’a
aussi demandé mes papiers médicaux … Je ne les avais pas! « Va passer un
examen et tu me les montreras, lui aurait répondu le limier de la
Moralité. »[26]
Par la suite,
ce furent les autres prostituées qui l’avaient mis au courant des règles locales.
Par exemple, elles ne pouvaient pas changer de lieu de travail et elles
devaient se présenter pour 14h00 et rester le plus tard possible. En
contre-interrogatoire, elle avait admis que c’est un employé de l’hôtel qui
l’avait mis au courant des règlements et non le détective en question.
« Le témoin a révélé une visite à un autre détective pour lui faire part
de ses déboires. Un autre limier venait d’être mentionné en Cour. Puis revenant
au premier détective, elle a dévoilé à la surprise de tout le monde :
« Il m’a demandé de lui donner un petit pourcentage de mes bénéfices… Je
n’avais plus « d’ami » alors … Pas question de verser quoi que ce soit
quand même! La fille publique de 1967 refusait selon sa version, de partager
ses gains. Huis-clos absolu! L’interrogatoire suivant nécessita encore
l’expulsion de tout le monde à l’extérieur de l’enceinte de la Cour … »[27]
Après s’être
absenté de Trois-Rivières durant deux mois, la jeune femme s’était vue refuser
l’accès à l’établissement où elle avait l’habitude de travailler. « Il y
avait là, au bar en question, selon la fille : un garçon de table et le
détective. Les deux hommes se renvoyaient la balle à savoir qui
« débarrerait » l’expulsée de l’hôtel. « Le détective a
finalement dit qu’il essaierait de me faire entrer et est sorti à l’extérieur
pour environ quinze minutes ». De retour à l’intérieur du bar, le policier
aurait fait part à la demoiselle anxieuse de reprendre son
« travail » : « Tu iras travailler là, demain! Elle était
« débarrée ». »[28]
Après l’heure du dîner, on demanda au public
de sortir alors que les journalistes se sont vu imposer des restrictions.
Ensuite, Mlle Fernande Turgeon, 45 ans, protonotaire à la Cour supérieure,
produisit les déclarations sociales de J. Gustave Richer, hôtelier de l’Hôtel
des Trois-Rivières; Joseph Guay du Club St-Paul; J. Antoine Vézina du Manoir
Laviolette; Léon Pagé de l’Hôtel St-Louis; et Albert Guimond de l’Hôtel
Bonaventure. C’est ensuite que témoigna le directeur Delage.
En
fait, Delage a dut admettre qu’il n’avait pas rencontré son état-major en 1968
et 1969. « Pour bien se situer, mentionnons que cet état-major se compose
d’environ 28 policiers, c’est-à-dire du grade de sergent, en passant par ceux
de lieutenant, capitaine, assistant-directeur et … directeur. »[29]
Jusqu’en 1967, il expliqua que l’état-major se réunissait « à
l’occasion » afin de discuter de différents points. À une certaine époque,
avoua-t-il, ces rencontres s’effectuaient hebdomadairement. « On a bien
essayé, de dire M. Delage, le bureau du directeur, mais la chaleur et l’exiguïté
des lieux étaient insupportables. « J’ai discontinué ces réunions »,
a témoigné le chef de police … »[30]
Lorsque
Me Boily lui demanda de décrire une journée de travail, Delage expliqua qu’il
commençait vers 7h45 en dépouillant son courrier, suivait la rédaction des
réponses; vers 9h00 il recevait la visite des capitaines des trois postes de
police distribués à travers la ville pour la répartition des rapports de la
veille, y compris ceux de la nuit. « Et l’officier de l’escouade des
motocyclettes, lui demande le commissaire Tobin, prend-il part à ces réunions?
Non le renseigne le directeur. Et le capitaine Gagnon de l’escouade des
détectives? Non plus! Le directeur Delage est alors sommé d’expliquer pourquoi
son capitaine de la section des détectives ne prend pas part aux réunions
quotidiennes, par le commissaire Tobin. « Le capitaine Gagnon, informe le
chef, doit vitement prendre connaissance des plaintes le matin pour amorcer
rapidement ses enquêtes. « Autrement, d’ajouter le directeur, son travail
s’en trouverait trop retardé. »[31]
Il
fut aussi question que si le capitaine Gagnon devait le voir pour résoudre une
situation, il pouvait se rendre à son bureau ou lui téléphoner. Delage estima
le nombre de ces contacts entre lui et le capitaine Gagnon à deux ou trois fois
par mois.
Après
le passage de Delage, on fit revenir Irène Paquet afin de produire en preuve
une photo de Denise Carole, alias Denise Côté, et une autre d’une certaine
Kathy. Denise Côté, 33 ans, décrivit son occupation comme « bar maid, sans
emploi ». Elle habitait au 855-B de la rue Ste-Cécile et elle demanda la
protection de la Cour. Peu après, Irène Brière fit la même demande.
15 août 1969
Ce
matin-là, dans son article paru en première page, Arsenault écrivit que
« La Commission de police ne siégera pas aujourd’hui. Les séances ont été
ajournées à la semaine prochaine ».[32]
Pourtant, selon le procès-verbal, quelques témoins ont été entendus ce jour-là.
C’est sûrement une erreur, puisqu’au matin du 16 août c’est encore Arsenault
qui relatait les faits de la veille, soit de la journée du 15.
D’après le
procès-verbal, on a entendu Jean-Marie Hubert, suivi de trois policiers de
Montréal. Le premier d’entre eux était Raymond Laframboise, 28 ans. La CPQ
interdit aux journalistes de reproduire publiquement les noms mentionnés par
celui-ci. Les deux autres policiers montréalais étaient Roland Clermont et
Jacques Laurin. Selon Photo-Police,
l’un des policiers de Montréal était venu enquêter au sujet d’un détective de
l’escouade de la Moralité de Trois-Rivières. Ce dernier lui aurait confié
qu’officiellement 37 filles de joie « travaillaient » à
Trois-Rivières. Selon le système mis en place, la nouvelle fille était tolérée
durant un mois, après quoi elle devait respecter les règles locales, ce qui lui
permettait de poursuivre ses affaires sans le moindre problème.[33]
Sans pouvoir
fournir le nom, Arsenault révéla que le policier de Montréal, qui
« conduisait lui-même une enquête et s’était informé à un des membres de
l’escouade trifluvienne des différentes procédures employées ici, concernant
comme on s’en doute bien … la prostitution! Le témoin d’hier, qu’on nous a
laissé écouter moyennant que les noms des établissements et des personnes
impliquées ne soient pas dévoilés au public, a littéralement électrisé
l’assistance par sa déposition. Celle-ci avait trait au contrôle des filles
publiques à Trois-Rivières. Le témoin a fait part au juge Gosselin et au
commissaire Tobin que les renseignements dont il avait possession lui ont été
communiqués le 5 décembre 1967, lors de sa rencontre avec les limiers
trifluviens. »[34]
Si ce policier
connaissait les rouages de la prostitution trifluvienne depuis décembre 1967,
pourquoi ne pas avoir parlé plus tôt si la situation était aussi grave qu’on le
prétendait?
Et, justement,
quelles étaient ces révélations? Arsenault nous en donne un aperçu :
« « On m’a dit…! Une fois par mois les filles étaient mises en état
d’arrestation. Elles devaient alors déposer un cautionnement de cent dollars
pour être immédiatement libérées sans examen médical. Elles ne comparaissaient
pas à la Cour à la suite de cet « arrêt forcé » de travail. Vu
qu’elles étaient absentes la journée de leur comparution, on confisquait le
montant déposé et … c’est le retour au boulot. Encore une fois, la foudre
s’abattait en Cour avec cette déclaration… « Il y avait une entente entre
le service de Police et la Cour! … Le but du policier montréalais étant de
questionner un souteneur trifluvien, il se fit conduire par un homologue
trifluvien dans plusieurs établissements de notre ville. Ceci se passait le 5
décembre 1967. « Il me présentait, a témoigné l’agent de la métropole,
parlant de son guide de notre corps de police, et je questionnais les
personnes… » À ce moment, Mes Guy Lebrun et Gaston Gamache écoutaient on
ne peut plus attentivement les propos du limier. Puis : « Celui que
je questionnais regardait le détective … Sur un signe de tête de ce dernier il
répondait à mes questions, sinon … Pas de réponses! » C’en était trop pour
les deux procureurs de l’Association des policiers. D’un bond ils étaient sur
pieds tous les deux et … « Va-on [sic] admettre ce genre de preuve dans
cette enquête? Et les deux compagnons du témoin qui sont dans la salle et
écoutent depuis vingt minutes », d’ajouter Me Lebrun… « Qu’en
fait-on? » Derrière nous, les policiers de Trois-Rivières réagissaient eux
aussi. À mi-voix certes, mais on sentait quand même leur mécontentement…
Lajournement [sic] pour la journée vient mettre un terme aux débats qui
s’annonçaient orageux. Mercredi prochain, le même témoin sera questionné cette
fois par les avocats de l’Association des policiers… »[35]
Il
a été dit que les détectives, c’est-à-dire Dupont et ses collègues, avaient
subi beaucoup de pression et que plusieurs enquêtes s’étaient accumulés pendant
les audiences de la CPQ, ce qui aurait justement contribué à rehausser le
niveau de stress chez Dupont. Dans Le
Nouvelliste du 16 août 1969, pendant qu’Arsenault tentait de raconter les
faits entourant la comparution de Jean-Marie Hubert de la veille, sans trop
dévoiler des détails et noms, un article de Roger Noreau soulignait que quatre
bandits avaient commis un braquage à la Caisse populaire de Sainte-Marguerite,
ce qui leur avait rapporté 4 000$. Le vol a été commis vers 14h45 dans
l’après-midi du 15 août, donc pendant que siégeait la CPQ. Les « quatre
cagoulards qui étaient armés d’une mitraillette légère et d’une carabine
tronçonnée, se sont emparés d’une somme de $4,000, après avoir ordonné à trois
clients et au personnel de la Caisse, de se coucher sur le plancher. »[36]
Un coup de feu a été tiré dans la serrure d’un tiroir-caisse. Parmi les
clients, l’annonceur à la radio de CHLN a été « quelque peu
molesté ». Les braqueurs ont ensuite pris la fuite dans une Chrysler 1968.
Les policiers de la région ont été mis à contribution.
Une
voiture correspondant au signalement a été conduite au poste de police no. 1 et
fouillée « par les policiers à cet endroit », sans aucun résultat. La
chasse à l’homme s’est poursuivie sur la rue Des Forges, où plusieurs voitures
de police, incluant celles de la Sûreté, se sont retrouvées devant le
restaurant le Roi du Spaghetti. Des fouilles ont été effectuées dans les
maisons et appartements situés autour du commerce. Des suspects ont ensuite été
conduits au poste de police no. 1 pour y être interrogés. « Les policiers
n’avaient pas encore terminé leur travail à ce moment, car une automobile qui
sortait d’une entrée de cour à proximité du restaurant, a été interceptée par
un détective. Cette automobile qui était conduite par une femme, a été fouillée
par le détective. Ce dernier ne fut pas trop surpris de trouver dans le coffre
arrière de la voiture, tout un arsenal, des cagoules et des vêtements qui
répondaient à ceux de la description des présumés voleurs. »[37]
Le
seul détective dont il est fait mention dans l’article est Fernand Gendron.
C’est lui qui a retrouvé les sacs d’argent dans un logement de la rue Des
Forges. « En plus de l’escouade de la Sûreté de Trois-Rivières, était
aussi sur les lieux un détachement de la Sûreté provinciale du Québec. »[38]
L’enquête a été confiée à Gendron.
17 août 1969
Et
comme si les détectives n’en avaient pas assez, un autre crime s’ajouta à la
liste des enquêtes prioritaires, tandis que le lieutenant-détective Hubert était
paralysé par l’enquête de la CPQ. En effet, au matin du dimanche 17 août, un
homme a été tué à coups de barres de fer au 302 rue St-Paul. La victime était
Arthur Saint-Ours, 42 ans, un « solide gaillard de 240 livres environ et
débardeur de son métier. M. Saint-Ours était marié et père de huit
enfants. »[39]
Il avait été attaqué par deux hommes. Comme le voulait la procédure, et comme
ce fut aussi le cas pour Dupont quelques mois plus tard, le corps de la victime
a été transporté au laboratoire médico-légal de Montréal.
Quant à l’implication des
détectives, on peut lire ces précisions : « La sûreté municipale de
Trois-Rivières fut ensuite avisée des événements qui venaient de se produire et
le capitaine-détective Georges Gagnon se rendit sur les lieux en compagnie des
sergent-détectives Fernand Gendron et Guy Poisson. Ils prirent l’enquête en
mains afin de retrouver les auteurs. »[40]
Fait
intéressant, on apprend ensuite que « Pendant que les détectives locaux
travaillaient sur cette affaire, le capitaine-détective Gagnon fit appel à
l’escouade des homicides de la Sûreté du Québec, à Montréal, pour qu’elle
apporte son aide dans cette enquête. Le caporal Raymond Hébert et l’agent
Jean-Noël Hains se sont rendus à Trois-Rivières pour aider les policiers
municipaux dans leur travail. »[41]
Il
était donc vrai de dire que dans les cas d’homicides la police de
Trois-Rivières faisait automatiquement appel à la SQ.
18 août 1969
En dépit du
fait que les contre-interrogatoires n’avaient pas encore eu lieu, il semble que
le directeur J.-Amédée Delage en avait assez entendu. Il écrivit une lettre au
gérant de la ville Roger Lord et dans laquelle il demandait la suspension de
Dallaire et Hubert pour « manquement à la discipline. »[42]
Certes, il fallut attendre l’édition du mardi 19 août pour que les abonnés du
quotidien local apprennent que « Le lieutenant-détective Jean-Marie Hubert
et le sergent-détective Paul Dallaire ont été suspendus indéfiniment de leurs
fonctions, hier, par le conseil de ville de Trois-Rivières, sur recommandation
du directeur J.-Amédée Delage. Ces deux membres de la Sûreté municipale
trifluvienne faisaient partie de l’escouade de la Moralité, dont l’efficacité
est sérieusement mise en doute par l’enquête entreprise par la Commission de
police du Québec. »[43]
Pourquoi agir
aussi promptement? Pour redorer le plus rapidement possible l’image du corps
policier? Parce que Delage n’a pu su bien gérer cette crise? Sa décision
était-elle hâtive?
Or, si on en
croit l’article de Bernard Champoux, Delage « ne faisait qu’appliquer
l’article 13 du règlement No 5 dans lequel il est statué que : « Tout
membre du corps de police qui accepte ou exige, directement ou indirectement,
une somme d’argent, un avantage ou des boissons alcooliques, en considération
d’un exercice d’influence ou d’un acte ou d’une omission dans l’exécution de
ses fonctions; qui viole les règlements du conseil ou du corps de police; ou
qui désobéit aux ordres d’un supérieur, sera passible de la punition imposée
aux contrevenants des règlements de la cité en plus de suspension sans salaire
ou de destitution. »[44]
Cette double
suspension n’est peut-être pas la chose la plus étonnante devant le fait que,
selon ce règlement, on plaçait la réception de pot-de-vin et la désobéissance à
un supérieur sur un même niveau de faute professionnelle.
Pendant ce temps, le détective Fernand Gendron continuait de prendre les
bouchers doubles puisqu’il dut s’occuper de la comparution de suspects dans
l’affaire du hold-up de la Caisse populaire Sainte-Marguerite.
19 août 1969
L’enquête
de la CPQ reprit, entre autre avec le directeur Delage qui a dû faire face à
« une première salve de questions de la part de Me Gaston Gamache
[…]. »[45]
En revenant sur les événements du 18 août, Arsenault précisa que vers 14h30
Delage avait reçu un appel du gérant de la ville Roger Lord. « « Il
m’a demandé d’agir… Il m’a dit d’agir! » Or, « agir » selon le
témoignage qu’a fait entendre le chef du corps de police, voulait dire l’envoi
d’une lettre à celui qui l’enjoignait de le faire. Précisément, la lettre qui a
été lue au conseil de ville à la séance de lundi. Celle qui demandait la
suspension des deux détectives. Précipitamment, Me Gamache a exhibé le document
au directeur et … « Avez-vous vous-même composé cette lettre?, a-t-il
voulu savoir. « En partie, lui répondit, M. Delage, c’est-à-dire sauf pour
les règlements énoncés! » Ce n’était pas assez pour l’avocat des policiers
qui emboita : « Auriez-vous pris vous-même une telle initiative (les
suspensions), s’il n’y avait pas eu de téléphone? « Non monsieur, laissa
tomber clairement le directeur de police. »[46]
Est-ce
que cette réponse pourrait expliquer un conflit « personnel » entre
le conseil de ville et la section des détectives, comme cela semblait être le
cas depuis la guéguerre entre ces derniers et Gaston Vallières? Cette
intervention hâtive de la ville expliquerait-elle aussi le fait qu’Hubert et
Dallaire ait eu gain de cause au cours des années suivantes.
Quant
à la relation qu’il avait avec le gérant de la ville, Delage parla de
« l’organigramme de notre corps policier, qui doit être présenté au gérant
avant application. Plus tard, quelques instants seulement plus tard, le
directeur a laissé entendre : « C’est toujours le gérant qui est le
patron du personnel! … Aussitôt, il a ajouté : « C’est mon
patron! »[47]
Ensuite,
le commissaire Tobin l’interrogea sur la convention de travail et c’est alors
qu’on apprit « que celle-ci est échue depuis décembre 1968 et n’a pas été
renouvellée [sic]. »[48]
Delage avouera aussi avoir été convoqué à seulement une des huit ou neuf
assemblées de négociations concernant la convention. Le résultat de la dernière
entente, Delage l’avait obtenu par le président et le secrétaire de
l’Association. « « Mais voulez-vous dire par là, a remarqué le
commissaire Tobin visiblement estomaqué, que si personne ne vous l’avait
mentionné … En somme, c’est stupide mais c’est ça… « L’auriez-vous su? Pas
de réponse… « Comme ça, d’enchaîner M. Tobin, on vous remet la convention
signée et … Voici pour les deux ou trois prochaines années? « C’est ça!
d’acquiescer le directeur. »[49]
Quant
à la prostitution, Delage avoua avoir été au courant dès 1967 que certains
établissements servaient aux rouages du plus vieux métier du monde. Il ira
jusqu’à expliquer que ce sont des membres de la Sûreté, donc des détectives,
qui l’avaient informé de la situation. Il dira sous serment leur avoir demandé
à procéder à des arrestations afin de mettre fin à cette situation « Mais,
a-t-il ajouté, nos efforts manquaient d’effets parce que nous étions dérangés
par les journaux! »[50]
Pour
sa part, Me Gamache lança que la ville ne pouvait pas se servir des témoignages
rendus devant la CPQ pour suspendre ainsi ses policiers et c’est ainsi qu’il
demanda la réembauche de Dallaire et Hubert. Quant à Me Jean Méthot, chef du
contentieux, il lança que cette enquête ne devait pas pour autant empêcher le
conseil de ville de faire son travail.
Après
un retour à la barre de Roger Dion, on a fait appel à Romuald Godin, 60 ans. Ce
dernier était propriétaire d’un restaurant portant son nom. Au soir du 10 mars
1969, Godin travaillait dans son commerce lorsque deux femmes étaient entrées
en criant « c’est un hold-up ». Godin avait néanmoins réussi à
arracher le manteau à l’une des deux braqueuses. Après leur départ, Godin avait
immédiatement téléphoné à la police, qui a procédé, le même soir, aux
arrestations de deux jeunes femmes : Louise St-Pierre, 28 ans, et Claire
Bourassa (née Côté), 26 ans. Selon le registre d’état civil, c’est en 1959 que
cette dernière a épousé Royal Bourassa. Ce dernier était qualifié de plâtrier
et elle décrite comme employée chez « Hart Shirt ». Au moment de leur
mariage, ils habitaient au 751 rue Radisson. Au moment de sa comparution devant
la CPQ, elle logeait au 618 des Ursulines, dans le Vieux Trois-Rivières.
23 août 1969
Au
matin du 23 août, Photo-Police se
montra audacieux dans ses propos en publiant le titre « La prostitution
était dirigée par des policiers ».
Les quotidiens de l’époque ne semblent pas s’être risqués aussi loin sur
l’échelle de la subjectivité.
25 août 1969
Cet
après-midi-là, Me Lucien Comeau s’absenta définitivement de la commission. Le contenu
du procès-verbal ne nous permet pas d’apporter une explication quant à ce
départ.
Pendant ce
temps, c’est sous huis clos qu’on entendit le témoignage de Louise St-Pierre,
28 ans, l’une des deux femmes qui avaient commis le braquage au restaurant
Godin. Le procès-verbal mentionne que « au cours de son témoignage, le
témoin est déclaré hostile. À plusieurs reprises durant son témoignage, le
témoin est averti qu’elle est sous serment et que toute fausse déclaration de
sa part pourrait entraîner une plainte de parjure. »
Quoi qu’il en
soit, un huis clos complet fut instauré pour la dernière partie de son
témoignage. Pour l’occasion, on fit évacuer la salle, exception faite de
Dallaire et Buckley.
Par la suite,
le directeur Delage a été interrogé durant des heures « pour dévoiler que
le personnel policier de la ville de Trois-Rivières est nettement insuffisant.
« L’escouade de Moralité, deux hommes, ne pouvait pas enrayer la
prostitution dans notre ville avec ce personnel restreint… Je ne l’ai jamais
mentionné au conseil municipal, car c’était inutile d’en parler, on ne m’en aurait
pas accordé plus! »[51]
Delage affirma
également qu’en 1968 il avait demandé 12 hommes pour la section des enquêtes et
qu’on lui en avait accordé seulement 7, uniquement pour remplacer les départs à
la retraite. En 1969, il en avait demandé 14 pour en obtenir 8, encore une fois
pour combler les départs. Ce fut la même chanson pour l’escouade de la
Moralité, à qui Delage avait simplement dit : « Faites votre
possible. » Un huis clos fut ensuite imposé pour taire les noms des personnes
morales et physiques. Évidemment, ceux-ci avaient droit à l’anonymat puisqu’il
n’y avait toujours pas d’accusations contre eux.
Puis Delage raconta
que l’homme en charge de son escouade de la Moralité « m’a demandé deux
hommes en surplus, de même qu’un camion-fantôme pour pouvoir effectuer un
travail plus efficace. Pour plus de sécurité, pour une protection accrue, ce
même détective aurait aussi requis les services d’un policier à ces côtés. « J’ai
choisi un tel, parce qu’il était costaud, a souligné M. Delage toujours à la
barre aux témoins. La situation était telle, a mentionné le directeur, que le
détective requérant lui aurait dit : « Si vous ne me donnez pas cet
homme supplémentaire … j’abandonne! »[52]
26 août 1969
Ce
matin-là, les Trifluviens ont pris leur premier café en apprenant que Dallaire
et Hubert allaient bientôt retrouver leur poste au sein de la police. « Le
conseiller Fernand Colbert a présenté, hier soir, un avis de motion dans le but
de rescinder la résolution par laquelle les deux limiers étaient suspendus.
Pour l’instant, ces derniers ne peuvent réintégrer leur poste puisque la
nouvelle résolution sera soumise aux voix, lors de la prochaine séance. Il
s’agit d’une simple procédure, les conseillers semblant unanimes. La mesure a
été décidée après mure réflexion par les conseillers qui ont même fait appel au
directeur de la police, M. J.-Amédée Delage afin de connaître sa
réaction. »[53]
Cette
fois, revenant sur la conversation téléphonique qu’il avait eue le 18 août avec
le gérant de la ville Roger Lord, Delage avoua que « Je n’ai pas eu
l’esprit assez présent pour lui dire que j’aimais mieux attendre la fin de
l’enquête et j’ai cru que le gérant désirait la suspension des deux détectives
[…]. »[54]
Delage
dut admettre au maire René Matteau que le gérant Lord « ne lui avait pas
forcé la main » avant d’ajouter que « « Je ne connais pas
tellement les lois et c’est pourquoi ça m’a surpris de recevoir cet
appel », a jouté M. Delage en précisant qu’il avait toujours eu
l’impression qu’il fallait attendre la fin de l’enquête. »
Cette
histoire de réinstaller Hubert et Dallaire aurait commencé « quand le
conseiller Benoit Giguère a déclaré que la suspension des deux détectives était
prématurée et que le conseil de ville n’avait pas le droit de se substituer à
la Commission de Police. Le conseiller Fernand Colbert était aussi mécontent de
la tournure des événements surtout parce que le directeur Delage avait affirmé
qu’il n’aurait jamais suspendu les deux limiers, si le gérant Lord ne lui avait
pas téléphoné. « On a pris une décision selon la recommandation du
directeur de la police et je m’aperçois que l’on s’est trompé », a-t-il
dit. »[55]
Finalement,
dans les mêmes pages du Le Nouvelliste,
on annonçait la retraite de Delage pour le 1er octobre, date à
laquelle Roland Poitras prendrait le relai par intérim jusqu’à la nomination du
prochain directeur. « La pension versée au directeur Delage serait
d’environ $5,000 par année. Le conseil municipal a consenti à la mise à la
retraite du directeur de la police Delage, à la suite d’une demande formulée
par ce dernier dès le 18 novembre 1968 et réitérée dans une lettre datée du 25
août. En fait, le chef Amédée Delage demandait d’être mis à sa pension à partir
du 12 septembre prochain, date à laquelle il aura atteint 65 ans et près de 39
ans de service au sein de la police de Trois-Rivières. Le chef de police
souligne que « cette décision n’est pas subite et n’est pas prise en considération
des événements présents, mais plutôt due à mon âge et à ma santé
déclinante… »[56]
J.-Amédée
Delage est décédé en 1987. Pour l’occasion, Le
Nouvelliste, dans un court article non signé, le qualifia « d’un homme
d’une forte discipline personnelle. »
Finalement,
les audiences du 26 août se terminèrent par la présence de Normand Rouette, qui
a affirmé qu’à la demande de Me Jean Méthot, chef du contentieux, il avait
remis des photocopies de dossiers judiciaires à Gaston Vallières. Ces dossiers
étaient ceux de prostituées arrêtées entre le 1er janvier 1967 et
avril 1969. Or, Rouette avait occupé la fonction d’archiviste jusqu’en mai
1969. C’était donc lui le gardien des archives policières.[57]
On
avait également profité de l’occasion pour questionner Rouette sur
l’accessibilité de certains dossiers, et ce dernier de répondre que
« « Les documents sont accessibles […] aux autorités de la ville qui
en font la demande. » Par « autorités » de la ville, le témoin a
ajouté que le terme comprenait le maire, les officiers municipaux et les chefs
de service. Parfois même, selon le même témoin, des ajusteurs d’assurance
pouvaient obtenir des photocopies de rapports d’enquête, moyennant que ceux-ci
ne comportent à cette occasion que des résumés des témoignages et aussi
l’assentiment de l’officier supérieure de la Sûreté de les produire aux
demandeurs … »[58]
Or, la seule demande de la sorte faite depuis 1967 était celle de Méthot. Et
Rouette d’ajouter que « Je n’ai pas transmis d’autres dossiers
confidentiels à d’autres personnes pendant cette période. »[59]
Ces
dossiers contenaient les photos des prostituées. Rouette affirma qu’on lui
avait expliqué qu’en remettant ces dossiers à Vallières cela servirait pour
l’enquête de la CPQ.
Peu
après, Delage, visiblement épuisé au point où le juge Gosselin lui offrit de
s’asseoir, est venu dire qu’il n’avait autorisé personnes à donner accès à ces
dossiers. Me Guy Lebrun a également « suggéré que le contrat d’engagement
de l’archiviste de la police trifluvienne, de même que le texte de son
assermentation, soient soumis au tribunal d’enquête. À ceci, le juge Gosselin a
répliqué qu’il était préférable de s’en remettre au greffier municipal, ce
dernier étant en meilleure position de trouver les dits documents. »[60]
Delage
admit s’être rendu à Montréal en novembre 1968 avec « un officier de la
Sûreté » pour y rencontrer un officier de la Moralité afin de
« savoir si là-bas on avait quelque chose contre mon personnel! »[61]
Étant donné la règle sur le ouï-dire, une objection formulée par Me Boily,
Delage ne put rapporter la réponse que l’officier montréalais lui avait faite.
27 août 1969
Selon
le procès-verbal, le seul témoin entendu ce jour-là fut Paul Dallaire. Comme on
le sait, la destruction des notes sténographiques et la portée limitée du
procès-verbal nous empêche de revisiter le détail de son témoignage, mais selon
Arsenault son apparition à la barre eut l’effet d’un choc. « « Le
directeur m’a dit, a sèchement déposé le sergent Paul Dallaire de la Moralité,
de ne pas m’occuper s’il y avait 200 ou 300 « Filles » en ville et de
me cacher pour en arrêter une au cours de ma surveillance! » Est-il besoin
de commenter l’impact d’une telle affirmation de la part du témoin, sur
l’auditoire présent. »[62]
Doit-on
en déduire que Dallaire a agis seulement sous les ordres du directeur Delage?
Par conséquent, la situation pouvait-elle s’expliquer par l’incompétence et le
laxisme? Est-ce possible d’affirmer que Dallaire faisait seulement ce qu’il
pouvait?
« Ces
propos ont été prononcés, selon le détective Dallaire, pendant une entrevue à
laquelle il avait été convoqué par le directeur de la police au sujet de sa
façon de « travailler » la prostitution à Trois-Rivières. Le sergent
Dallaire a révélé qu’antérieurement à cette entrevue, il avertissait les
nouvelles prostituées de bien vouloir quitter la ville. Celles qui demeuraient?
« Nous leur faisions des causes et la plupart quittaient elles aussi la
ville! »[63]
Toujours
selon Dallaire, le directeur Delage avait décidé de ne plus cueillir
d’information auprès des propriétaires des établissements où travaillaient les
prostituées mais qu’on devrait maintenant les surveiller de l’extérieur.
« Il m’avait même dit que même s’il y avait des centaines de filles, ce
n’était pas de notre affaire! »[64]
Dallaire aurait répondu à cela « parfait monsieur », après quoi il
avait adopté une autre méthode de travail : « en se cachant sur des
terrains de stationnement publics et dans des entrées de cour.
« Maintenant, je me tiens dans la rue, de préciser le témoin… Mais une
cause prend de cette façon, quinze jours et même trois semaines à être
conclue! ». Le commissaire Gérard Tobin qui écoutait tout ceci n’a pu
s’empêcher de s’écrier : « On vous a dit que ce n’était pas de votre
affaire? Mais alors c’était l’affaire de qui? Des scouts? » »[65]
Les
audiences auraient ensuite déviées sur le sujet des cautionnements à la Cour
municipale. C’est au soir du 27 août que la liste des prix fut déposée en
preuve. Quand on lui demanda qui avait créé cette liste, Dallaire aurait
répondu « que l’appellation « juge municipal » apparaissait au
bas du document et qu’il existait « probablement » depuis
1693. »[66]
On
serait également revenu sur le témoignage de deux des policiers montréalais
venu à Trois-Rivières le 5 décembre 1967. En rencontrant leurs confrères de la
Moralité à Trois-Rivières, ces deux policiers auraient évidemment discuté de
prostitution et du fait qu’il existait une certaine entente avec la Cour
municipale. Cette entente permettait « la confiscation des cautionnements
de $100, fournis par les prostituées, donnant à celles-ci l’avantage de ne pas
revenir devant la cour. « J’ai employé le mot ENTENTE, a dit le témoin,
mais ce n’est pas nécessairement celui-là qui a été dit à mon attention! »
L’agent montréalais voulait faire savoir que ce terme donnait le sens de la
conversation entre lui et les limiers trifluviens il y a deux ans… »[67]
Le
mystérieux policier montréalais aurait ajouté quelques précisions, selon
lesquelles les prostituées étaient dirigées vers l’escouade de la Moralité par
les tenanciers d’hôtels et aussi à l’effet que « je n’ai jamais dit que
c’était le détective mais bien le service de police qui opérait comme tel.
Venait ensuite la fameuse question des examens médicaux. Pour lesquels le
premier témoin a déposé qu’ils n’étaient pas toujours effectués après les
arrestations des prostituées. Plus tard, au cours du questionnaire conduit par
le procureur de l’Association des Policiers, le deuxième témoin qui assistait
lui aussi à la rencontre de décembre 67, a laissé entendre : « Il n’a
pas été question de cartes médicales! ». »[68]
C’est
Me Gaston Gamache, en contre-interrogeant le policier montréalais, qui aurait
finalement fait ressortir l’information selon laquelle ce dernier et son
collègue seraient d’abord venu à Trois-Rivières en décembre 1967 dans le but de
rencontrer un individu en particulier. Puis c’est en se tournant vers le juge
Gosselin que le procureur des policiers aurait lancé : « Nous
croyons, nous avons les informations que c’était bien « trois »
individus qu’il voulait rencontrer et non pas un seul… Nous tenterons de
démontrer qu’il se trompe sur toute la ligne pour sa visite à
Trois-Rivières! »[69]
Un
huis clos fut ensuite imposé, ce qui empêcha les journalistes d’en dire
davantage.
C’est
aussi « d’une voix forte, posée »[70]
que Dallaire a ajouté que « Nous avons eu des ordres au début … De ne rien
virer à l’envers! »[71]
Lorsque le commissaire Tobin lui a demandé si, justement, il n’en avait pas
assez de revoir toujours les mêmes prostituées, Dallaire avoua qu’il les
revoyait rapidement dans les établissements après leurs arrestations.
« Cet état de choses, selon le policier-témoin, est dû au fait qu’à chaque
arrestation d’une prostituée, une preuve nouvelle doit être faite au cas où
celle-ci nierait sa culpabilité en cour municipale. Toutefois, le limier a
précisé que ceci, (la comparution) ne s’était pas produite depuis le 1er
janvier 1967. En somme, toutes préfèrent être libérées moyennant un
cautionnement pour voir par la suite celui-ci forfait à défaut de comparution
en Cour. »[72]
« Et
la roue tourne! », comme l’a si bien souligné Arsenault. Dallaire affirma
ne jamais avoir comparu en Cour pour ces causes et que c’est seulement plus
tard qu’on lui apprenait que les filles n’étaient pas revenues après leur dépôt
de 100$. Dallaire expliquera également qu’il terminait toujours son travail
tard dans la nuit et que, par conséquent, il ne pouvait être présent le matin
lors des comparutions.
Quant
aux causes impliquant les souteneurs, Dallaire avoua son inefficacité en raison
du fait que l’escouade « se compose de deux détectives, y compris le
témoin. « On a demandé des hommes; des équipes pour les fins de semaine…
Nous n’avons jamais rien obtenu! ». »[73]
Il était aussi d’avis que pour effectuer un travail plus efficace il lui aurait
fallu deux hommes sur le quart de jour et quatre pour celui de nuit. À une
question de Tobin qui « voulut savoir si des mandats d’amener étaient émis
quand elles ne se présentaient pas en Cour à la date fixée, « Après
l’arrestation, si elle ne revient pas devant le tribunal et que je ne reçois
pas de mandat à cet effet… Ce n’est plus de notre affaire! a laissé savoir le
témoin Dallaire. « Ce n’est pas au détective mais à un procureur »,
est intervenu Me Guy Lebrun […], à faire émettre un tel mandat… et d’ajouter
l’avocat : « On n’a pas à demander au témoin une telle question,
c’est à un procureur dument mandaté à le faire! ». »[74]
Cette
question laisserait-elle croire à un manque de connaissance du travail policier
de la part du commissaire Tobin?
Interrogé
sur sa formation, Dallaire dira avoir « suivi divers cours comme celui de
formation policière par exemple. Un cours d’une durée de deux ans à raison de
trois mois d’étude par session. »[75]
28 août 1969
Paul
Dallaire fut rappelé dans la boîte des témoins et, à huis clos, continua de
témoigner à propos des « cautionnements forfaits à la chaîne. La liste
sans fin des dépôts payés par ceux et surtout « celles » qu’on
arrêtait après enquête et dont les comparutions en Cour municipale n’avaient,
dans la majorité des cas, jamais lieu … ont fait l’objet d’un nouveau
questionnaire de la part du juge Gosselin. »[76]
En fait, Dallaire expliqua avoir reçu l’ordre de laisser partir les prostituée
de la part de son « coéquipier ». « De fait, selon la déposition
du sergent Dallaire, l’ordre d’utiliser la liste des taux de cautionnements
pour les diverses infractions, a été d’abord donné par un téléphone du juge
municipal, à celui qui formait équipe avec lui à l’escouade de la Moralité. Ce
n’est qu’à la suite de cet appel que lui, le sergent Dallaire, fut mis au
courant par son confrère de se servir de la fameuse liste des différents taux.
Retournant loin en arrière, le témoin Dallaire s’est souvenu que ladite liste
était à sa connaissance depuis … 1951! »[77]
Me
Gamache ramena ensuite le témoin sur l’affaire du hold-up commis dans un
restaurant en mars 1969. Dallaire répondit ne pas avoir revu les accusées après
qu’on lui avait demander de ne pas s’en occuper « mais j’ai su qu’une
cause de barbituriques avait été faite par la suite et qu’un type s’était
mérité une condamnation en Cour des sessions. Quant aux filles interceptées le
soir du méfait, elles devaient comparaître en cour municipale … »
Il
fut également question d’une descente réalisée à dans des hôtels du
centre-ville de Trois-Rivières le 27 juin par des policiers montréalais.
« « Deux jours auparavant, a souligné le détective Dallaire, j’ai
demandé des documents pour préparer une cause à deux maisons de rendez-vous.
Celui à qui j’ai fait la demande est parti en vacances et les autres sont venus
par la suite! » Et finalement, le témoin a fait savoir au juge
Gosselin : « Je ne suis pas en « charge » de la Moralité;
j’ai été placé là certes mais je fais aussi de tout! »[78]
30 août au 2 septembre 1969
Au
matin du 30 août, Le Nouvelliste
détaillait en première page l’évasion de Robert Gignac de l’Institut Leclerc,
situé tout près du célèbre pénitencier St-Vincent-de-Paul dans la région de
Montréal. L’homme que Jean-Marie Hubert avait admis avoir connu – sans
toutefois préciser le niveau de contact entre les deux hommes – avait acquis
une certaine célébrité dans le milieu criminel en raison de ses liens avec
Lucien Rivard. Condamné pour parjure, Gignac avait été acquitté en Cour d’appel
en janvier 1968. De plus, « Il avait écopé d’une peine de trois ans de
prison pour vol et recel d’auto, le 10 mars dernier par le juge Maurice
Langlois, de Trois-Rivières. »[79]
Le 2 septembre, le journaliste Claude Vaillancourt apporta quelques détails
supplémentaires quant à cette évasion, mettant l’emphase sur le fait que Gignac
et son complice avaient forcé un couple à les conduire jusqu’en Ontario.[80]
Selon
les versions présentées lors des audiences de la commission d’enquête publique
de 1996, on avait tenté d’incorporer la candidature de Robert Gignac parmi les
suspects mais sans succès. Aucune preuve n’a été présentée à l’effet que ce
personnage pourrait avoir un lien quelconque avec Louis-Georges Dupont.
Au
matin du 3 septembre, Le Nouvelliste
révéla que « Le lieutenant-détective Jean-Marie Hubert et le sergent
détective Paul Dallaire réintègrent leurs postes au sein de la Sûreté
municipale à compter d’aujourd’hui. »[81]
Gaston Vallières s’est opposé à cette décision, mais « Le conseiller
Benoît Giguère a ajouté que le conseil de ville avait pris une première
décision sur la foi du rapport de M. Delage et des avocats de la ville.
« Quant à moi, je ne veux pas les juger », a-t-il dit. Le conseiller
Léo Pidgeon n’a pas aimé les propos d’un éditorialiste radiophonique qui
reprochait au conseil de ville de continuellement changer ses décisions.
« Ceux qui écrivent des articles de cette nature, de dire M. Pidgeon,
n’ont qu’à se présenter aux élections municipales et s’il manque un siège, je
leur céderai le mien ». »[82]
Sur
la même page, un article de Jean-Paul Arseneault suivait les détails des
procédures judiciaires relatives au hold-up commis à la Caisse populaire de
Sainte-Marguerite quelques jours plus tard. Jeannine Beauchesne, propriétaire du
restaurant Jeannine Spaghetti House et dont le nom avait été mentionné aux
audiences de la CPQ, était accusée de complicité.[83]
3 septembre 1969
Après
un congé de quelques jours, les audiences de la CPQ reprirent et « Encore
une fois, comme cela s’est produit à maintes reprises depuis le début des
procédures, une déposition foudroyante a été enregistrée par la Commission de
police. Une déposition du lieutenant-détective Jean-Marie Hubert, questionné à
ce moment par Me Raymond Boily de la Commission. Le détective venait à peine de
terminer le récit d’une entrevue qu’il avait eue avec le greffier de la Cour
municipale de Trois-Rivières. Au cours de la discussion mentionnée, le policier
a révélé qu’il souligna à l’attaché de Cour, que certaines plaintes déposées
devant le tribunal municipal, relevaient plutôt de celui des Sessions de la
Paix. Saisi de cette remarque de la part du témoin Hubert, l’officier de la
Cour municipale aurait répondu, selon la version du détective : « On
est mieux de les porter en Cour municipale, ça grossit les coffres de la ville…
Aux Sessions de la paix, ça va à la PROVINCE! »[84]
À cela, Hubert aurait répondu au greffier municipal « qu’un corps de
police n’était pas une industrie ou un commerce à REVENUS! »[85]
Selon
Arsenault, le témoignage de Hubert aurait créé une réaction dans le prétoire
qu’il dépeignait comme ceci : « Les commentaires sont superflus pour
décrire la stupéfaction qui électrisa ceux qui étaient présents en Cour. Sans
que rien ne « paraisse », tous se jetaient un regard furtif, sans
doute pour s’assurer que c’était bien là, le contenu de la déposition. Ce
l’était! »[86]
Il
fut également question que les vols à l’étalage d’une valeur de moins de 50$
étaient eux aussi soumis à la Cour municipale. Il semble que ces causes
s’inscrivaient plutôt comme des affaires de « dommages à la
propriété ». Lorsque Hubert demanda au greffier ce qui adviendrait de cela
si un prévenu décidait de plaider non-coupable, puisqu’il aurait alors fallu
prouver l’existence de ces dommages fictifs, on ignore la réponse car l’article
d’Arsenault n’est pas clair à ce sujet.
Quant
aux cautionnements forfaits, « Hubert a souligné qu’un ordre lui avait été
transmis par un officier de la Sûreté de voir à imposer un minimum de $100 pour
les causes de racolage. Dans la même veine, le témoin avait aussi à décider de
montants supérieurs, soit $25 pour chacune des arrestations précédentes. Une
prostituée qui en était à sa sixième arrestation devait donc débourser $150
pour recouvrer sa liberté cautionnée. Or, en Cour municipale, le règlement
prévoyait une amende de $40, plus des frais pour celles qui se reconnaissent
coupables ou qui sont trouvées comme telles. Toutefois, les condamnations pour
racolage sont rares voire inexistantes, puisque les « filles »
préféraient perdre les cautionnements fournis et ne pas revenir devant la Cour
deux jours après l’incarcération « momentanée ». « En
1967-68-69, je n’ai jamais été appelé à témoigner devant cette Cour! affirme le
détective Hubert… » Et le commissaire Tobin d’intervenir :
« Est-ce qu’elle marche cette Cour? »[87]
4 septembre 1969
La
controverse impliquant la Cour municipale s’est poursuivie le lendemain, si
bien qu’au matin du 5 septembre on apprenait dans les pages du Le Nouvelliste le nom du fameux
greffier : Me Jean-Jacques Lajoie. Celui-ci fut bombardé de questions. Il
en ressortit que Me Jean Méthot l’avait rencontré en novembre 1968 afin de lui
demander que les causes soient portées devant les Sessions de la paix. Sur ce
rappel, Lajoie déclara devant la CPQ que « Je me souviens que vous étiez
en faveur des Sessions, mais le juge n’était pas de votre avis! »[88]
Quant
aux falsifications des accusations de vol à l’étalage, le greffier Lajoie expliqua
qu’une « accusation de vol est logée contre le ou la personne arrêtée. Le
texte de cette accusation parvient en Cour municipale et … Le greffier de ce
tribunal en rédige une de « dommages à la propriété ». Pourquoi cette
retouche? Parce que, révèle le greffier, c’est l’usage qui nous guide; parce
que le règlement municipal ne couvre pas les causes de vol et finalement, à
condition que les effets dérobés n’aient pas une grande valeur et aient au
préalable été remis à leur propriétaire. C’en est trop. Le commissaire Tobin
fait remarquer au témoin que des personnes sont accusés d’actes qu’ils n’ont
pas posés. « C’est un point de vue! » lui répond le greffier. »[89]
Quant
à la prostitution, « Nous nous sommes toujours demandé, renseigne le
greffier de la Cour municipale, quel serait le meilleur remède pour résoudre le
problème de la prostitution. Selon Me Lajoie, des discussions prennent souvent
naissance, à savoir où porter les plaintes de racolage à Trois-Rivières, soit
en Cour des Sessions ou devant le tribunal municipal. « Le juge municipal,
annonce le greffier Lajoie, préférait recevoir les plaintes devant lui! »
On nageait encore dans la vague. Aussi une autre question, plus précise
celle-là, surgit-elle. « Qui en a décidé ainsi? Le juge répond finalement
le témoin, a préféré continuer comme avant! » »[90]
Avant
la fin de son témoignage, Lajoie n’eut d’autre choix que d’admettre que cette
pratique rapportait davantage aux coffres de la Cour municipale.
Selon
un rapport déposé devant la CPQ, il y aurait eu une cinquantaine de causes de
délinquance juvénile au cours d’une année. « Or, pour la même année, Me
Jean-Jacques Lajoie a témoigné à l’enquête sur la police hier, à l’effet que
2,000 causes environ avaient bel et bien été présentées devant cette Cour. La
déposition du témoin, le greffier de ce tribunal, a donc assombri la situation
à Trois-Rivières, tout en la situant cependant à sa juste valeur. […] Le
sergent-détective Clément Massicotte, agent de liaison entre le corps de police
de Trois-Rivières et la Cour du Bien-Être, a lui aussi fait mention de
statistiques qui ne concordent pas du tout avec le rapport annuel, tel que
présenté aux autorités municipales. En détail, le détective a énuméré le nombre
d’arrestations de jeunes gens, jeunes filles et d’adultes au cours de la même
année. La totalité de cette statistique accuse plus de 180 cas. Le rapport du
directeur lui, n’affiche qu’une quinzaine de causes rattachées au tribunal du
Bien-Être. M. Massicotte s’est lui-même aperçu de cette lacune auparavant,
c’est-à-dire avant de témoigner hier, c’est pourquoi il s’est adressé au
greffier de la Cour du Bien-Être pour obtenir les chiffres exacts de ses
opérations policières. Comme l’a fait remarquer le commissaire Tobin :
« Si l’on s’en tient au rapport OFFICIEL, il n’y a pas de problèmes à
Trois-Rivières. » Je savais que j’en avais fait beaucoup plus, de
souligner le détective Massicotte. »[91]
Pour
sa part, le lieutenant Jean Champagne de l’escouade des policiers-motards, a
lui aussi témoigné à l’effet qu’il avait tenté d’obtenir de meilleurs
effectifs, sans résultat. On lui avait répondu que le budget ne le permettait
pas. Depuis 1954, il avait suivi plusieurs cours de perfectionnement. Son
témoignage a été qualifié de « Courte mais précise déposition », si
bien que « les quelques trentes [sic] minutes du témoignage de l’officier
Champagne ont valu des heures de déposition à la Commission de Police du
Québec. Tout y était clair, précis et dit avec aucune retenue. »[92]
Finalement,
le témoignage du capitaine Wilson Massicotte, en charge du poste de police no.
2, témoigna à l’effet qu’il manquait lui aussi d’effectifs, surtout lorsqu’il
était question de journées de maladies et de vacances. Durant certaines
périodes, il ne disposait que de six hommes alors qu’il aurait dû compter sur
seize. « Encore là, il en faut pour l’entretien des voitures à incendie et
autres travaux du genre, les choses se compliquent, il n’en reste que deux et …
Les deux officiers de service. L’écoutant attentivement, le commissaire Tobin
ne semblait pas certain s’il en resterait suffisamment à la fin… Décidément,
cela a d’ailleurs été mentionné à plusieurs reprises à l’enquête, le personnel
fait défaut. Les différentes autorités policières le répètent sans
cesse. »[93]
5 septembre 1969
En
appelant à la barre des témoins le maire René Matteau, la CPQ espérait savoir
qui, du directeur Delage ou du gérant Lord, dirigeait vraiment les policiers à
Trois-Rivières. « Le premier magistrat s’est empressé de renseigner que la
Charte de la cité prévoyait l’autorité du gérant municipal sur le corps de
police. Bref, si le conseil veut s’adresser au directeur Delage, on fait appel
au gérant. De même, si le chef de police désire formuler une quelconque requête
aux conseillers municipaux, c’est encore au gérant qu’il doit d’abord faire
part de ses intentions. »[94]
Peut-être
davantage que la prostitution, le manque d’effectifs semble avoir retenu une
grande partie de l’attention de cette enquête puisque « Les demandes
d’augmentation de personnel au sein du corps de police, formulées par le
directeur Delage, ont été hier confirmée par le maire Matteau. En 1968, le chef
de police avait fait une requête pour obtenir quinze hommes de plus. Six lui
furent accordés. […] « Saviez-vous, M. le maire, s’est enquit le
commissaire Tobin, que cela ne faisait que combler les vides »? « Je
n’étais pas au courant », a laissé choir M. Matteau. Enchaînant, le maire
informa qu’à l’étude du budget, il était devenu impérieux d’obtenir le meilleur
rendement possible du corps de police, tout en observant la règle : que
les dispositions prises coûtent le moins cher possible! »[95]
À
la fin de cette journée, l’enquête de la Commission de police du Québec
s’ajourna jusqu’au 17 septembre.
16 septembre 1969
À
la veille de la reprise des audiences, dans le cadre d’un projet visant à
fusionner les forces policières de Trois-Rivières, du Cap-de-la-Madeleine et de
Trois-Rivières-Ouest, Jules Montour, maire de cette dernière municipalité, a
déclaré au journaliste Fernand Gagnon : « Que la ville de
Trois-Rivières règle d’abord ses propres affaires de police, qu’elle laisse se
terminer l’enquête présentement en cours et nous pourrons ensuite étudier en
profondeur els possibilités de la création d’une commission métropolitaine de
police en vue de la fusion des effectifs policiers des trois
villes-sœurs. »[96]
17 septembre 1969
Figure 4.
Le conseiller municipal Aimé Lefrançois, le directeur de la police J.-Amédée
Delage, et le gérant de la ville Roger Lord. Durant la majeure partie de la
journée du 17 septembre 1969, c’est Lord qui s’est retrouvé dans la boîte des
témoins.
La reprise des
audiences fut l’occasion pour le gérant de la ville Roger Lord de donner sa
version des faits quant à la double suspension des détectives Hubert et
Dallaire. Lord témoigna une bonne partie de cette journée et dut subir
« une tornade de questions autour d’une « correspondance » entre
le directeur Delage et le témoin Lord, à l’issue de la première semaine de
l’enquête le 18 août. »[97]
Le gérant affirma
qu’il n’avait rien à voir avec cette lettre et que Delage l’avait écrite de sa
propre initiative. « La narration des péripéties de cet après-midi du 18
août suivit. […] Il était environ midi, le 18 août, quand le gérant Lord a communiqué par téléphone avec le
directeur de police Delage. C’était pour le mettre à l’aise, précise le gérant.
À l’aise pour une décision qui devait par la suite faire « un peu »
de bruit : les suspensions! À l’appareil, M. Lord s’est informé si son
interlocuteur avait entendu assez de déclarations à l’enquête sur la police
pour effectuer des suspensions. Dans l’affirmative, il fit part à M. Delage que
le règlement municipal No 5 lui permettait de procéder. Mais que c’était là son
privilège. Le privilège du directeur pour éviter toute confusion, celle-là du
moins. Le commissaire Tobin, qui suivait on ne peut plus attentivement la
narration, s’informa à brûle-pourpoint : « Croyez-vous vraiment
l’avoir mis à l’aise en lui téléphonant? Ne savait-il pas lui-même la teneur de
ce règlement? » Non pas, c’était bel et bien pour mettre M. Delage à
l’aise, de répondre le gérant municipal. Le juge Gosselin maintenant voulait
des éclaircissements. Cette fois au sujet de deux autres congédiements,
définitifs, ceux-là, effectués au sein du corps de police tout récemment[98].
« Avez-vous appelé le directeur dans ces deux cas, pour lui rappeler le
règlement municipal? » « Pas cette fois a répondu M. Lord. De toute
façon, il était midi lorsqu’il a rejoint le directeur de police pour le mettre
à l’aise. Celui-ci lui a répondu qu’il examinerait la question et quelques
heures plus tard une lettre était envoyée au gérant municipal, soit vers trois
heures et trente. Suite à cette missive, deux membres de la Sûreté étaient
suspendus puis … réinstallés! »[99]
À un certain
moment du témoignage, Me Gaston Gamache lui aurait demandé « Agissez-vous
comme patron de la force constabulaire? »[100]
Lord aurait alors répondu qu’il ne faisait que « transmettre les ordres
reçus des autorités municipales. « Je n’ai jamais donné de directives, a
tranché le témoin. On en arrivait au fameux rapport Ross, préparé par les
experts de cette firme en 1965, pour tous les départements de la ville de
Trois-Rivières, y compris … celui de la police. […] $40,000 qu’il avait coûté
ce rapport Ross. Pour en arriver à des recommandations telles que
celle-ci : l’entraînement des policiers faisait défaut. »[101]
Comme
l’écrivait Arsenault, les recommandations du rapport Ross n’avaient pas été
respectées à une époque qui, pourtant, se voulait réformatrice. La Révolution
tranquille n’a pas seulement affecté l’éducation, la nationalisation de
l’électricité et la désinstitutionalisation, elle a aussi forcé le milieu
policier à se renouveler. Selon Lord, le directeur Delage ne voyait pas d’un
bon œil les conclusions de ce rapport Ross. « Pressé de questions par Me
Gamache, le gérant municipal a exhibé une liasse de lettres qu’il avait fait
parvenir au directeur de police pour l’application des recommandations de la
firme Ross. De 1965 à 1967, le témoin a déposé qu’il avait beaucoup insisté
pour mettre en branle ce renouveau policier. Par la suite, l’insistance s’est
amoindrie : « On ne prévoyait aucun résultat! A conclu M.
Lord ». »[102]
Roger Lord
avoua cependant qu’il était responsable de l’efficacité des services
municipaux, ce qui incluait évidemment la police. Il parla aussi d’un malaise
qui s’était installé entre le directeur et son assistant, et cela depuis 1968. Les
deux hommes concernés ont ensuite tout nié.
Cette
journée fut marquée par un autre rebondissement, celui créé par le témoin Roger
Dion, qui avait affirmé en début d’enquête avoir été témoin du fait qu’un
détective avait touché un pot-de-vin. D’ailleurs, on se souviendra que c’est en
partie sur cette déclaration que s’était basé le directeur Delage pour
suspendre Dallaire et Hubert. Or, Dion revenait dans la boîte des témoins pour
déclarer que « Aujourd’hui non, je ne peux pas le jurer! »[103]
Voilà un autre témoin qui revenait sur sa parole. « Pour la X…e
fois : « L’avez-vous vu remettre l’argent? » Finalement, très
catégorique et accusant des signes de « chaleur », on entendit le
témoin s’écrier : « Non … Je ne peux le jurer! » À la première
séance de l’enquête, il avait vu, de ses yeux vu, tel que rapporté dans les
notes sténographiques. »[104]
Selon
le procès-verbal, c’est après avoir entendu le secrétaire André Gingras et
Roger Lord que le juge Roger Gosselin a ordonné aux détectives Louis-Georges
Dupont, Fernand Gendron, Clément Massicotte et Fernand Thibeault de retourner à
leur travail habituel puisque les enquêtes de routine s’accumulaient. On leur expliqua
signala qu’on ferait appel à eux au cours de la soirée par le billet d’un
message transmis par Me Gamache. Pendant ce temps, Hubert, Dallaire, Buckley et
le capitaine Gagnon devaient demeurer dans le prétoire.
Jacqueline
Brunelle, née Jacqueline Gagnon et épouse de Gérard Rivard, qui a témoigné lors
de la commission en 1996, passa plutôt inaperçu dans les journaux.
Ensuite,
la commission s’est ajournée de 18h00 à 20h45. C’est à cette heure-là qu’on a
commencé à entendre les détectives qui n’avaient pas encore témoigné. Le
premier fut Fernand Gendron, 45 ans, suivi du capitaine Georges Gagnon. C’est
pendant le témoignage de celui-ci qu’on donna l’ordre « aux détectives
Dupont et Massicotte d’évacuer la salle ». Ensuite, on rappela Hubert, qui
fut suivi de Clément Massicotte, 46 ans. C’est seulement ensuite qu’on a
entendu le témoin no. 42, Louis-Georges Dupont. Et, faut-il le mentionner, ce
dernier témoignage s’est effectué sans huis clos. On ne s’attendait donc pas à de grandes
révélations.
Les
journaux ne firent aucune mention des témoignages entendus ce soir-là. Même
dans La Presse, couvert par Jean-Paul
Charbonneau, ne fit aucune allusion aux témoignages des détectives entendus en
soirée. Cette dernière source, cependant, mentionne que Delage et Poitras
avaient tout nié quant au malaise qui aurait existé entre eux, d’après les
allégations du gérant Lord. Et Charbonneau d’ajouter à propos de Lord que
celui-ci « a fait sourire à quelques reprises les personnes présentes dans
la salle d’audience. Car, il avait le don de « patiner » au lieu de
répondre aux questions posées par les membres du tribunal d’enquête. »[105]
Après
avoir abordé à son tour la volte-face de Roger Dion et l’allusion au rapport
Ross, il conclut son billet par le fait que « deux dirigeants de la
Fédération des policiers du Québec étaient présents à l’audience, hier, à titre
d’observateurs. Il s’agit de MM. Guy Marcil et Jacques Ruel, respectivement
président et directeur de la Fraternité des policiers de Montréal. »[106]
Si on calcule le
nombre de témoins qui ont comparu entre 20h45 et 22h20 dans la soirée du 17
septembre, on en arrive à une moyenne de 19 minutes de présence pour chacun
d’eux à la barre.
À
l’intérieur d’un autre article publié le même jour, Gaston Vallières aurait-il
fait volte-face à son tour en déclarant que « ce qui presse pour le
moment, c’est de redorer le blason de Trois-Rivières, de refaire sa bonne
renommée et celle de son corps de police par la nomination d’un directeur
compétent, à la poigne solide, qui pourra rétablir l’ordre partout où le désordre
existe aujourd’hui. Telle est l’opinion qu’ont exprimée tour à tour les
conseillers Fernand Goneau et Gaston Vallières en réponse au conseiller Benoît
Giguère qui cherchait tout simplement à sonder les intentions des membres du
conseil sur l’idée qu’il avait lancée dans le public de créer une commission
métropolitaine de police en vue de la fusion des effectifs policiers des trois
villes-sœurs : Trois-Rivières, Trois-Rivières Ouest et le
Cap-de-la-Madeleine. »[107]
Giguère
avait aussi lancé l’idée que le prochain directeur de la police proviendrait de
l’extérieur.
Dans
un autre article concernant les propos de Vallières, on lit que « Le
conseiller Gaston Vallières se propose de passer « au peigne fin »
tous les comptes qui seront soumis à l’approbation du conseil de ville et non
seulement ceux de la Commission de l’Exposition. Faisant suite à un article publié
dans Le Nouvelliste à l’effet qu’il scruterait attentivement les comptes de la
dernière Exposition régionale, M. Vallières a voulu élargir son champ d’action
et il a affirmé ses intentions d’être vigilant à ce sujet à tous les niveaux de
l’administration municipale. »[108]
Selon lui, plusieurs comptes avaient été payés sans la présence de pièces
justificatives. « Le maire René Matteau a déclaré qu’il était du devoir de
chaque conseiller de vérifier tous les comptes avant de les accepter. « Je
ne blâme pas M. Vallières de faire de telles recherches », a-t-il
ajouté. »[109]
18 septembre 1969
Ce
jour-là, la CPQ entendit le témoignage de Laurette Bisson, épouse de Arthur
Trépanier. Lors de leur mariage, célébré le 26 août 1943, Trépanier résidait à
Malartic. Il était âgé de 36 ans alors que Laurette en avait seulement 17. Celle
qui, selon la levée du scellé sur la deuxième partie du rapport de la CPQ, en
1996, fut la maîtresse de Jean-Marie Hubert, s’est éteinte le 17 février 2008.
Selon sa notice nécrologique, qui n’est accompagnée d’aucune photo, elle
utilisait encore le nom de son mari. Elle avait 82 ans.
Jean-Paul
Arsenault résuma cette journée en abordant la volte-face du jeune Denis Blais :
« Des dépositions font l’effet d’une bombe en Cour. Des dépositions qui
nécessiteront une autre enquête pour déterminer si oui ou non il y a eu parjure
en cette avant-dernière journée des débats. »[110]
Après avoir
dit sous serment avoir remis 200$ à Hubert pour que ce dernier puisse régler
ses problèmes à la Cour du Bien-Être, un portier de cabaret est venu dire
devant la CPQ avoir reçu 400$ de Blais. Et Arsenault d’ajouter que
« l’argent fut remis, non pas au détective Hubert, comme l’avait juré
précédemment Blais, mais à un des membres du trio de
« conseillers ». »[111]
C’est
donc devant cette découverte que « En riant, Blais a été ramené en Cour
hier soir pour jurer cette fois que sa première déposition était complètement
fausse. Ce n’était pas Hubert, mais bien le portier de club et ses copains qui
avaient reçu l’argent. « Tout était faux, a déclaré Blais à son apparition
devant le tribunal de la Commission de police. Blais avait encore le sourire
aux lèvres en désavouant complètement son premier témoignage. Le juge Gosselin
et le commissaire Tobin eux, avaient autre chose … aux lèvres :
« J’ordonne, a tranché le magistrat, que le procureur de la Commission
fasse enquête sur la possibilité de parjures, dans cette éventualité le tout
sera soumis à l’avocat de la Couronne locale et des plaintes d’extorsion seront
portées! ». »[112]
Si
Hubert n’avait rien à voir avec cette affaire de pot-de-vin, pourquoi Blais
l’aurait-il accusé lors de sa première apparition devant la CPQ?
Évidemment,
comme le prévoit la justice, Hubert a eu son droit de réplique.
« « Il n’en a jamais été question » ont affirmé à l’enquête sur
la police, les détectives Gorges [sic] Gagnon et Jean-Marie Hubert, au sujet de
certaines méthodes de traiter la prostitution par nos limiers de la Sûreté trifluvienne.
On se souvient sans doute que deux membres de la Moralité de Montréal ont admis
devant la Commission de Police avoir reçu des précisions lors d’une visite au
bureau du capitaine Gagnon en décembre 1967. Les deux policiers de la Métropole
avaient rapporté aux enquêteurs de la Commission, qu’on leur avait fourni le
nombre de prostituées à Trois-Rivières, le rouage du fameux système de
cautionnement « éclair » relativement aux arrestations des filles de
joie trifluviennes et d’une importance capitale, le fait que celles-ci étaient
dirigées vers notre escouade de Moralité par des employés d’hôtel du
centre-ville. Du moins, celles qui étaient toutes « fraîches »
arrivées en nos murs. Il n’est rien de tel, ont témoigné tour à tour MM. Gagnon
et Hubert. « Jamais de telles conversations ont eu lieu devant nous lors
de la visite des agents montréalais ». Catégoriques, les deux détectives
trifluviens ont toutefois admis qu’il avait certes été question de prostitution
au cours de cet entretien. Pouvait-il en être autrement? La Moralité visitait
en somme la Moralité, le sujet devenait tout indiqué… On parlait métier quoi!
Mais des données précises comme celles mentionnées par les visiteurs, JAMAIS!
Ont maintes fois répété les témoins de la Sûreté de Trois-Rivières. De dire le
lieutenant Hubert : « Je leur ai surtout fait remarquer que toutes
proportions gardées, Trois-Rivières était moins affectée par ce fléau que
Montréal. »[113]
Les
témoignages contradictoires ne s’arrêtaient pas là, comme l’a noté Arsenault,
car le témoignage d’un gérant d’hôtel est venu « jurer que jamais, à sa
connaissance, des filles avaient été dirigées vers les préposées à la Moralité
de Trois-Rivières. Que jamais, lui-même n’avait donné aucun ordre quel qu’il
fut, concernant la façon d’opérer qu’adoptaient les prostituées. Tout ceci, en
contradiction flagrante avec des dépositions antérieures soumises à la
Commission de police, principalement par des filles publiques de Trois-Rivières. »[114]
Il
fut également question qu’un « garçon de table » est aussi venu dire
sous serment que « Jamais une prostituée n’a reçu le conseil de se
présenter à la Moralité et je n’ai moi-même jamais reçu d’instructions à ce
sujet! »[115]
Quant
au témoignage de Gaston Laliberté, secrétaire de l’Association des Policiers,
il est apparu à la barre des témoins afin de rétablir les faits entourant sa
prise de bec avec le conseiller Vallières. « « Voici ce que je lui ai
dit, est venu déposer le policier. C’était à l’issue d’une rencontre pour
discuter la convention collective. Tout avait été dit… sauf! « Je voudrais
bien vous voir travailler à la Moralité avec les conditions offertes à nos
gars. C’était M. Laliberté qui s’adressait au conseiller Vallières. Mais telle
n’était pas la déposition de M. Vallières lorsqu’il est apparu devant la
Commission de Police. « Il m’a dit que je ferais un bon détective pour la
prostitution… Il m’a provoqué avait souligné l’échevin au juge Gosselin. Il y avait
donc eu altercation verbale, cela ne fait pas de doute. Quant à la provocation,
c’est autre chose. MM. Vallières et Laliberté ne rapportent pas les mêmes
propos. »[116]
C’est
aussi Le Nouvelliste qui nous apprend
qu’au matin du 18 septembre les détectives Fernand Gendron et Clément
Massicotte étaient occupés par l’arrestation d’un jeune homme impliqué dans une
affaire de vol.[117]
19 septembre 1969
Le
19 septembre marqua la toute dernière journée de l’enquête de la CPQ à
Trois-Rivières. Comme l’écrira Arsenault le lendemain, tous les conseillers
municipaux avaient été invités à venir témoigner mais le seul à l’avoir fait
fut Vallières.
Ce
qui soulève de l’étonnement, c’est qu’avant même d’avoir pris du recul,
« le juge Roger Gosselin a fait part de la toute première recommandation
résultant de l’enquête. « Nous savons, a formulé le magistrat, que le
conseil de ville de Trois-Rivières est sur le point de choisir un remplaçant au
directeur de police, M. J-Amédée Delage qui prend sa retraite. Notre
recommandation est celle d’abord [de] consulter la commission sur le
sujet! » Voilà qu’après 150 témoignages, 86 heures en Cour matin, midi et
souvent dans la soirée jusqu’à onze heures et quinze à une occasion entre
autres, la commission de Police attaque la deuxième partie de l’enquête… Les
recommandations. « Nous sommes en mesure de formuler immédiatement ce qui
suit, a dit le juge Gosselin avant de rendre publique la première, que lui et
le commissaire Gérard Tobin ont élaborée. »[118]
On prévoyait
que le sténographe officielle Luc Lemay aurait besoin de cinq à six semaines
pour compléter les documents nécessaires. Ce détail explique probablement une
partie du délai avant le dépôt du rapport, ou plutôt des deux parties du
rapport.
Épilogue
En
juin 1970, « Jean-Claude (Plume) Laplante et Norman Burns sont maintenant
libérés d’une accusation d’extorsion pour un montant de $400. L’enquête
préliminaire s’est déroulée pendant trois heures au palais de justice de
Trois-Rivières, trois heures pendant lesquelles Me Pierre Houde de la Couronne
a questionné le jeune Denis Blais, 20 ans, la « victime » de cette
fraude. Cette extorsion qu’on reprochait au duo Laplante-Burns remonte au 15
décembre 1968 et on l’a longuement commentée lors de l’enquête sur la police de
Trois-Rivières à la fin de l’été dernier : Denis Blais avait en effet
d’abord impliqué un détective trifluvien dans cette affaire pour se raviser par
la suite devant la Commission de police du Québec. »[119]
Figure 5.
Descente policière réalisée en 1973 dans deux établissements de Trois-Rivières,
dont le Manoir Laviolette.
Comme
on le sait, le 18 septembre 1969, Blais avait changé sa version pour impliquer
Burns et Laplante plutôt que le détective Hubert. La crédibilité de Blais parut
très chancelante. Durant cette enquête préliminaire, qui s’est déroulée devant
le juge Léon Girard, Blais déclara : « Je ne me souviens pas avoir
dit que j’avais donné les $400 à Plume… Je me suis trompé de gars et c’est à
René Mantha que j’ai remis l’argent! Or, justement, ce René Mantha n’était pas
présent en cour et demeure introuvable malgré les recherches entreprises par la
police depuis des semaines. L’argent donc a été remis selon les versions du
témoin Blais, à un détective trifluvien le 13 août, à Laplante le 18 septembre,
et à René Mantha hier. « Où est la vérité dans tout ça? » s’est
informé le juge Girard perplexe. « Je n’ai pas bonne mémoire, ce n’est pas
de ma faute », lui a répliqué le témoin de vingt ans visiblement « en
chaleur ». »[120]
Me
Houde a demandé à ce que le témoin soit déclaré hostile. Un autre délai fut
demandé pour tenter de retrouver Mantha, mais le juge déclara que Laplante et
Burns étaient libérés des accusations. Que doit-on déduire de cette situation?
Que Blais n’était pas un témoin crédible et que ses allégations contre Jean-Marie
Hubert étaient de la pure invention?
Si
on se reporte au chapitre concernant la revue de presse couvrant la période de
1969 à 1995, on comprendra sans doute un peu mieux pourquoi Hubert et Dallaire
avaient eu gain de cause à trois reprises au cours de la première moitié des
années 1970.
En février
1973, une enquête conjointe de la SQ et de la Commission de contrôle des permis
d’alcool et de l’escouade de la Moralité de Trois-Rivières, ont forcé la
fermeture de l’Hôtel Trois-Rivières et du Manoir Laviolette. De plus, Le
Cabarin Inc. allait devoir se conformer aux normes fixées par le ministre du
Travail avant de pouvoir rouvrir ses portes.[121]
Dans un second article paru dans le même numéro du quotidien de Trois-Rivières,
on apprenait que le jugement ayant permis cette razzia avait été rendu par le
juge Jacques Trahan. Son document stipulait que le Manoir Laviolette louait des
chambres pour de la prostitution. De plus, « les bouteilles de
« fort » y étaient baptisées à l’eau avant d’être servies à la
clientèle. Lors d’un raid effectué avant l’audition de la Commission à la
mi-janvier, des experts avaient témoigné que sur 40 bouteilles saisies en
l’occurrence, 35 avaient reçu le « baptême » comme le démontraient
des expertises faites dans la métropole. – La clientèle est exploitée d’une
manière flagrante, de souligner le juge Trahan et la loi est justement là pour
protéger le public. »[122]
Bref, on coupait
l’alcool avec de l’eau afin de réaliser de meilleurs profits sur le dos des
clients.
Réflexions :
Il
apparaît nécessaire, par la reconstitution des audiences de la CPQ de 1969, de
nuancer l’image qu’on retient de cette époque. Certes, on ne peut juger
honnêtement le passé avec nos yeux d’aujourd’hui, d’autant plus que les
transcriptions sténographiques de cette enquête ont été détruites, mais on pourrait
certainement revoir à la baisse certaines exagérations qui se colportent encore
de nos jours quant à la réputation non seulement de la ville mais de certaines
personnes.
En
effet, la prostitution était-elle aussi répandue que certaines personnes se
plaisent à le dire, d’autant plus que la partie 2 du rapport a permis
d’identifier 43 prostituées, alors que certains articles de journaux avaient
laissé entendre un nombre pouvant aller jusqu’à 300?
Jean-Marie
Hubert était-il véritablement un policier corrompu? Des témoins ont fait de
graves allégations à son endroit avant de revenir sur leurs paroles, au point
de se parjurer. Au bout du compte, Hubert n’a jamais été accusé au criminel en
lien avec des choses qu’on lui avait reproché en 1969 ou avant. Au bout du
compte, on ne peut rien lui attribuer qui puisse entacher ses qualités de
détective. La seule chose que lui reproche la partie 2 du rapport de la CPQ
c’est d’avoir eu le béguin pour une prostituée et avoir vécu une relation
ouverte devant sa femme. Évidemment, pensons-nous, cette situation n’était pas
socialement vue de la même façon qu’en ce moment.
Parmi
les autres nuances que nous permet de dresser cette reconstitution, retenons
celle où, comme le rapport de la Commissaire Lacerte-Lamontagne, il est plutôt
invraisemblable, voire impossible, que Dupont ait pu témoigner contre ses
collègues. On a vu que les journalistes se sont extasiés devant des témoignages
de moindre importance. Certes, il nous apparaît évident que si Dupont avait
livré un témoignage choc permettant d’accuser ses collègues celui-ci ne serait
pas passé inaperçu. Au contraire, on a vu que des témoignages plus incriminants
livré à l’endroit de Hubert et Dallaire n’ont suscité aucun intérêt pour une
quelconque théorie impliquant un meurtre. En dépit de cette enquête
controversée, personne n’a été assassiné.
Un
problème apparemment plus criant se situait au niveau de la Cour municipale,
qui allait jusqu’à falsifier des actes d’accusation afin de pouvoir mieux
garnir ses coffres. Au final, peut-être qu’une partie du témoignage livré par
Denis Leclerc en 1996 faisait du sens, lorsqu’il avait servi cette
avertissement selon lequel le problème se situait davantage au-delà de la
police.
En
fait, on pourrait retenir que le contexte de l’époque aurait plutôt contribué à
ajouter du stress sur les épaules de Dupont, qui se trouvait alors déjà sous
médication. D’ailleurs, y aurait-il un autre moyen d’interpréter sa crainte de
témoigner devant la CPQ? Pourquoi aurait-il eu peur? Craignait-il qu’on révèle
son comportement envers le capitaine Gagnon? Craignait-il un blâme? Autre
chose? Après tout, n’était-il pas le meilleur ami d’Hubert?
De plus, on se
demande quel impact le témoignage de Dupont aurait pu avoir parce que le mal
était déjà fait avec la comparution des trois policiers de Montréal, ainsi que
Dion (qui s’est cependant rétracté par la suite). Au cours de la journée du 18
septembre, Gagnon et Hubert ont eu l’occasion de répliquer aux accusations
apparues par les témoignages des policiers montréalais. Encore une fois, si
Dupont avait témoigné contre ses collègues, il est à penser que les répliques
d’Hubert à propos de son ami et collègue n’auraient pas échappées aux
journalistes. Complice dans l’amitié, Dupont craignait-il, justement, d’être
questionné sur les habitudes de son ami?
Depuis la
médiatisation de l’affaire Dupont, à partir de 1993, on a fait grand cas du
climat entourant l’enquête de la CPQ. Certes, cette investigation a permis de
faire ressortir certaines vieilles habitudes datant d’une époque incertaine, de
même que des pratiques douteuses, mais il faut également garder à l’esprit
plusieurs contradictions. On a assisté aux rétractations de deux témoins, en
plus d’une volte-face de la part de la ville concernant la suspension et la
réembauche de Dallaire et Hubert. La ville s’était-elle aperçue, finalement,
qu’elle avait jugé trop rapidement les deux hommes? Sinon, pourquoi les avoir
définitivement congédiés en janvier 1970?
Pourquoi
tant de spéculations? La CPQ elle-même est-elle à blâmer? Souffrait-elle d’un
surplus de zèle qui aurait pu alimenter son désir ardent de « régler le
problème de Trois-Rivières »?
Rappelons
aussi que la présence à Trois-Rivières de la CPQ ne doit pas être considérée
comme une « preuve » de la présence d’une situation unique, ou d’un
réseau criminel incomparable. Selon la description que BAnQ a fait du fonds
d’archives E79 de la Commission de police du Québec, celle-ci s’est intéressée
à des municipalités come Saint-Georges-de-Beauce, Montréal, Ste-Foy, Chapais,
Beloeil, Baie-Comeau, Hull, Rouyn, Longueuil, Château-Richer, Lachute, et
Maniwaki. C’est sans compter tous les contenants qui présentent encore des
restrictions de consultation pour encore quelques décennies.
[1] Eric Veillette, « L’affaire Dupont,
Assassinat d’un incorruptible » (2013).
[2] Jean-Paul Arsenault, « S’il faut
faire le ménage, je le ferai, dit M. Vallières », Le Nouvelliste,
13 août 1969.
[3] Arsenault.
[4] Arsenault.
[5] Arsenault.
[6] Arsenault.
[7] « Trois-Rivières : Le chef de police
ne sait rien », La Presse, 13 août 1969.
[8] Veillette, « L’affaire Dupont,
Assassinat d’un incorruptible ».
[9] Jean-Paul Arsenault, « J’ai été
provoqué, dit M. Vallières, “Laliberté m’a dit que je ferais un bon détective
dans la prostitution” », Le Nouvelliste, 14 août 1969.
[10] Arsenault.
[11] Arsenault.
[12] « Permis pas encore
renouvelés », Le Nouvelliste, 14 août 1969.
[13] Veillette, « L’affaire Dupont,
Assassinat d’un incorruptible ».
[14] « Rapport de la CPQ à
Trois-Rivières », 20 décembre 1969.
[15] Jean-Paul Arsenault, « Roger Dion,
employé de la cité, est catégorique: “J’ai vu, de mes yeux vu, un copain
remettre de l’argent à deux membres de la Sûreté” », Le Nouvelliste,
14 août 1969.
[16] Jean-Paul Arsenault, « Témoignage
choc d’un jeune homme de 20 ans à l’enquête sur la police de Trois-Rivières,
“J’ai rencontré un détective et je lui ai remis $200...!” », Le
Nouvelliste, 14 août 1969.
[17] Arsenault.
[18] J. G., « Des détectives de
Trois-Rivières auraient empoché plusieurs pots-de-vin », La Presse,
14 août 1969.
[19] Veillette, « L’affaire Dupont,
Assassinat d’un incorruptible ».
[20]
Selon le registre d’état civil, Denise Filion aurait épousé Ernest Blais le 9
octobre 1944 à Lévis.
[21] Veillette, « L’affaire Dupont,
Assassinat d’un incorruptible ».
[22] G., « Des détectives de
Trois-Rivières auraient empoché plusieurs pots-de-vin ».
[23] Jean-Paul Arsenault, « Rien n’a
encore été prouvé, s’exclame l’avocat Guy Lebrun », Le Nouvelliste,
15 août 1969.
[24] Arsenault.
[25] Veillette, « L’affaire Dupont,
Assassinat d’un incorruptible ».
[26] Jean-Paul Arsenault, « “Je
pratiquais la prostitution dans un hôtel”, Un limier m’a demandé de lui donner
un petit pourcentage, affirme une “fille de joie” », Le Nouvelliste,
15 août 1969.
[27] Arsenault.
[28] Arsenault.
[29] Jean-Paul Arsenault, « Delage n’a
pas réuni son état-major ni en 1968, ni en 1969 », Le Nouvelliste,
15 août 1969.
[30] Arsenault.
[31] Arsenault.
[32] Arsenault.
[33] Veillette, « L’affaire Dupont,
Assassinat d’un incorruptible ».
[34] Jean-Paul Arsenault, « Un policier
de Montréal à l’enquête de la police: “Arrestation d’une prostituée,
cautionnement, absence en Cour et cautionnement confisqué”, “Il y avait une
entente entre la police et la Cour...!” », Le Nouvelliste, 16 août
1969.
[35] Arsenault.
[36] Roger Noreau, « Quatre bandits
volent $4,000 à la Caisse populaire de Sainte-Marguerite, Onze personnes
détenues à la suite d’un vol à main armée », Le Nouvelliste, 16
août 1969.
[37] Noreau.
[38] Noreau.
[39] Régent Lajoie, « Drame sur la rue
Saint-Paul à Trois-Rivières, deux jeunes suspects sont détenus par la police:
Un homme est frappé à mort à l’aide d’une barre de fer », Le
Nouvelliste, 18 août 1969.
[40] Lajoie.
[41] Lajoie.
[42] Veillette, « L’affaire Dupont,
Assassinat d’un incorruptible ».
[43] Bernard Champoux, « Le chef de
police invoque un “manquement à la discipline” et le conseil entérine sa
recommandation, Dallaire et Hubert suspendus indéfiniment », Le
Nouvelliste, 19 août 1969.
[44] Champoux.
[45] Jean-Paul Arsenault, « Si le gérant
Lord ne m’avait pas téléphoné, je n’aurais pas suspendu les deux détectives,
avoue le chef Delage! », Le Nouvelliste, 20 août 1969.
[46] Arsenault.
[47] Arsenault.
[48] Arsenault.
[49] Arsenault.
[50] Arsenault.
[51] Jean-Paul Arsenault, « Delage: Deux
hommes ne pouvaient enrayer la prostitution », Le Nouvelliste, 26
août 1969.
[52] Arsenault.
[53] Bernard Champoux, « Le conseil
revient sur sa décision et rescinde la résolution, Les détectives Hubert et
Dallaire réinstallés », Le Nouvelliste, 26 août 1969.
[54] Champoux.
[55] Champoux.
[56] Fernand Gagnon, « Aucune relation
avec l’enquête sur la police, Le directeur Delage prendra sa retraite le
premier octobre », Le Nouvelliste, 26 août 1969.
[57] Jean-Paul Arsenault, « Des
photocopies lui ont été remises par l’archiviste Rouette à la demande du Chef
du Contentieux, Vallières a eu en sa possession des dossiers de
prostituées », Le Nouvelliste, 27 août 1969.
[58] Arsenault.
[59] Arsenault.
[60] Jean-Paul Arsenault, « Le directeur
Delage est formel: Je n’ai jamais autorisé qui que ce soit à sortir des
dossiers de “filles de joie” », Le Nouvelliste, 27 août 1969.
[61] Arsenault.
[62] Jean-Paul Arsenault, « Témoignage
choc du sergent-détective Paul Dallaire: “Le directeur m’a dit de ne pas
m’occuper s’il y avait 200 ou 300 « filles », d’en arrêter une durant
ma surveillance!” », Le Nouvelliste, 28 août 1969.
[63] Arsenault.
[64] Arsenault.
[65] Arsenault.
[66] Arsenault.
[67] Jean-Paul Arsenault, « Un membre de
l’escouade de la moralité de la Métropole le répète, Il y avait entente entre
les policiers et la Cour municipale », Le Nouvelliste, 28 août
1969.
[68] Arsenault.
[69] Arsenault.
[70] Jean-Paul Arsenault, « Le
sergent-détective Paul Dallaire: Nous avons eu des ordres de ne rien virer à
l’envers! », Le Nouvelliste, 28 août 1969.
[71] Arsenault.
[72] Arsenault.
[73] Arsenault.
[74] Arsenault.
[75] Arsenault.
[76] Jean-Paul Arsenault, « La liste des
différents taux de la Cour municipale date de 1951 dit le témoin, Dallaire
explique le mécanisme des cautionnements forfaits », Le Nouvelliste,
29 août 1969.
[77] Arsenault.
[78] Arsenault.
[79] « Robert Gignac s’évade du
pénitencier », Le Nouvelliste, 30 août 1969.
[80] Claude Vaillancourt, « Sous la
menace d’un revolver ... Gignac et Repentigny forcent M. et Mme Omer Beauchemin
de les conduire en Ontario », Le Nouvelliste, 2 septembre 1969.
[81] Bernard Champoux, « M. Vallières
s’oppose, Réinstallation de Dallaire et Hubert », Le Nouvelliste, 3
septembre 1969.
[82] Champoux.
[83] Jean-Paul Arsenault, « Vol à main
armée à la Caisse populaire de Sainte-Marguerite, Jeannine Beauchesne aux
Assises et ses complices subissent leur enquête », Le Nouvelliste,
3 septembre 1969.
[84] Jean-Paul Arsenault, « Le détective
Hubert rapporte une déclaration du greffier de la Cour municipale relativement
à la déposition de certaines plaintes, “On est mieux de les porter en Cour
municipale, ça grossit les coffres de la ville. Aux Sessions, ça va à la
province” », Le Nouvelliste, 4 septembre 1969.
[85] Arsenault.
[86] Arsenault.
[87] Arsenault.
[88] Jean-Paul Arsenault, « Me Boily à
l’enquête sur la police “Avec un autre témoin, je formulerais sans doute une
requête spéciale” », Le Nouvelliste, 5 septembre 1969.
[89] Arsenault.
[90] Arsenault.
[91] Arsenault.
[92] Arsenault.
[93] Arsenault.
[94] Jean-Paul Arsenault, « M. Delage ou
M. Lord? Qui agit comme directeur de la force constabulaire? », Le
Nouvelliste, 6 septembre 1969.
[95] Arsenault.
[96] Fernand Gagnon, « Le maire Montour
et la fusion des effectifs policiers des trois villes-soeurs, Que
Trois-Rivières règle d’abord ses propres affaires de police », Le
Nouvelliste, 17 septembre 1969.
[97] Jean-Paul Arsenault, « Le gérant
Lord donne sa version de la suspension des détectives Hubert et Dallaire, J’ai
téléphoné au directeur Delage pour le mettre à l’aise! », Le
Nouvelliste, 18 septembre 1969.
[98]
Il nous a été impossible d’identifier ces deux autres policiers qui eux se sont
mérité un congédiement définitif.
[99] Arsenault, « Le gérant Lord donne sa
version de la suspension des détectives Hubert et Dallaire, J’ai téléphoné au
directeur Delage pour le mettre à l’aise! »
[100]
Jean-Paul Arsenault, « Incident
durant le témoignage du gérant Lord, Cessons de jouer avec les mots (M.
Tobin) », Le Nouvelliste, 18 septembre 1969.
[101]
Arsenault.
[102]
Arsenault.
[103]
Jean-Paul Arsenault, « Les
pots-de-vin soi-disant remis pour permettre l’opération d’une roue de fortune,
Dion ne peut plus jurer avoir vu de ses yeux vu! », Le Nouvelliste,
18 septembre 1969.
[104]
Arsenault.
[105]
Jean-Paul Charbonneau, « Reprise de
l’enquête sur la police de Trois-Rivières, La circulation aurait été le plus
grand problème », La Presse, 18 septembre 1969.
[106]
Charbonneau.
[107]
Fernand Gagnon, « Les conseillers
Goneau et Vallières expriment un voeu pressant, Redorer le blason de la ville
et celui de son corps de police », Le Nouvelliste, 18 septembre
1969.
[108]
« L’approbation des comptes, Le
conseiller Vallières se propose d’être vigilant », Le Nouvelliste,
18 septembre 1969.
[109]
« L’approbation des comptes, Le
conseiller Vallières se propose d’être vigilant ».
[110]
Jean-Paul Arsenault, « Un jeune
homme de 20 ans s’est-il parjuré à l’enquête sur la police? Blais nie
maintenant avoir remis $200 au détective Hubert », Le Nouvelliste,
19 septembre 1969.
[111]
Arsenault.
[112]
Arsenault.
[113]
Jean-Paul Arsenault, « Les méthodes
de traiter la prostitution, Gagnon et Hubert contredisent les dépositions de
deux limiers de la Moralité de la Métropole », Le Nouvelliste, 19
septembre 1969.
[114]
Jean-Paul Arsenault, « Témoignages
contradictoires », Le Nouvelliste, 19 septembre 1969.
[115]
Arsenault.
[116]
Arsenault.
[117]
« La police appréhende un jeune
homme », Le Nouvelliste, 19 septembre 1969.
[118]
Jean-Paul Arsenault, « Première
recommandation de la Commission de Police au conseil de ville à la clôture de
l’enquête, “Consultez-nous sur le choix du nouveau directeur de police” »,
Le Nouvelliste, 20 septembre 1969.
[119]
Jean-Paul Arsenault, « Laplante et
Burns libérés d’une accusation d’extorsion », Le Nouvelliste, 10
juin 1970.
[120]
Arsenault.
[121]
Jean-Paul Arsenault, « Deux hôtels
vidés de fond en comble par la police, Le grand ménage reprend à
Trois-Rivières », Le Nouvelliste, 16 février 1973.
[122]
« Au Manoir Laviolette, Prostitution
et eau de vie baptisée », Le Nouvelliste, 16 février 1973.
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