Fin tragique d'un tueur de masse
Vincent Meloche |
Le 5 octobre 1971, Vincent Meloche, 27 ans, était congédié de la compagnie DuPont à Montréal. Deux jours plus tard, il revenait au siège social armé d’un fusil de chasse tronçonné de calibre .410 qu’il dissimulait sous son veston. Il était 10h20.
À l’intérieur,
« Il a interrompu une réunion entre M. Cawley et M. Matthews pour exiger
sa réintégration. Devant leur refus, dit la police, l’homme, âgé de 27 ans, a
sorti une carabine de calibre .410 et a tiré sur eux. Il s’est ensuite dirigé
vers un passage qui relie l’édifice no 555 [ouest boulevard Dorchester] à celui
du no 505 de la rue Dorchester. Là il a tiré sur M. Langlois. »[1]
Au moment de
ressortir de l’immeuble, Meloche, qui travaillait chez DuPont depuis 18 mois seulement,
avait fait trois victimes, ce qui le classait à tout jamais dans la catégorie
des tueurs de masse.
Vers 11h00, un dirigeant de la compagnie
et un policier « sont entrés dans un bureau pour apprendre que Meloche
parlait au téléphone avec un employé. Le dirigeant, M. Colin Young,
vice-président au personnel et aux relations extérieures, s’est entretenu au
téléphone avec Meloche et ce dernier lui a demandé de venir le chercher. M.
Young a dit au suspect qu’il était prêt à y aller, mais accompagné d’un
policier. Meloche a accepté ce marché et a demandé à parler au policier qui
accompagnait M. Young. C’est au policier, dont l’identité n’a pas été divulgué[e],
que Meloche a confié qu’il se trouvait dans une cabine téléphonique, à l’intersection
de l’avenue du Parc et du boulevard Saint-Joseph. Quelques minutes plus tard,
le sergent-détective Lucien Caron, de la Section des enquêtes criminelles, arrivait
sur les lieux et trouvait Meloche, qui l’attendait paisiblement. »[2]
À la suite du drame, on a appris qu’en
février 1970 Meloche avait reçu une sentence suspendue pour une période de deux
ans concernant « deux accusations dont la nature n’a pas été précisée
[…]. »[3]
Par ailleurs, la femme du tireur
aurait confié que son mari avait été congédié injustement. « Mme Meloche
certifie en tout cas que son mari semblait nourrir aucune intention criminelle
lorsqu’il a quitté son domicile pour se rendre chez Du Pont. Il voulait, selon
elle, obtenir uniquement les raisons exactes de son congédiement. Elle ne l’a
pas vu emporter son arme. »[4]
Pour
Meloche, les procédures judiciaires se prolongèrent durant quelques années. Il
a d’abord été défendu « par le fougueux avocat Robert Lemieux, puis par le
procureur de l’Aide juridique, Robert LaHaye. Le 26 mars 1976, Vincent Meloche
reçoit sa dernière sentence : trois peines de réclusion à perpétuité. Mais
en 1984, huit ans plus tard, alors qu’il est âgé de 40 ans, il bénéficie d’une
remise de peine. »[5]
C’était l’année où un autre tueur de masse, Denis Lortie, ciblait sa colère sur
le Parlement de Québec.
Parmi les éléments qui caractérisent
les tueurs de masse, on retrouve la tendance suicidaire reliée à un désir de
laisser une trace dans l’histoire, comme si leur motivation principale était de
commettre un suicide élargi. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux laissent des
écrits ou des enregistrements quelconques pour « expliquer » leurs
actes. On le constate dans la majorité des cas, lorsque les tueurs de masse ne
s’enlèvent pas la vie sur le lieu de leur crime – comme ce fut le cas par exemple
pour Marc Lépine et Kimveer Gill – ils ne prévoient aucun plan alternatif, de
sorte qu’ils se laissent arrêter par les autorités – Denis Lortie, Valery
Fabrikant, Richard H. Bain et Alexandre Bissonnette.
La particularité
dans le cas de Meloche, c’est qu’on se retrouve devant un délai de 30 ans entre
la commission du crime et le suicide.
La tuerie a fait trois victimes en 1971. |
Selon le rapport du coroner Claude
Paquin, c’est « en date du 15 octobre 2001 vers 5h30, dans la ruelle
derrière le 1695 Bélanger-est à Montréal, un citoyen qui se rendait à son
travail, aperçoit un homme couché sur le dos qui ne bouge pas. Il fait appel au
911. À l’arrivée des policiers sur les lieux, ces derniers notent que la
victime est calcinée. Suite à l’examen de la scène, rien ne laissait suspecter
l’intervention d’une autre personne dans le décès de la victime qui, de toute
évidence, était décédée d’immolation. Pour l’équipe d’Urgences Santé appelée
sur les lieux, il s’agissait d’une mort évidente. La section des homicides
était aussi demandée. Sur la scène, on trouvait un portefeuille en partie brûlé
avec des papiers personnels au nom de Vincent Meloche avec son adresse. On alla
vérifier au logement avec les clés trouvées près de la victime. Sur la table,
on trouvait une lettre adressée à sa mère, lettre à contexte suicidaire datée
du 15 octobre 2001. »[6]
Or, selon
Jacqueline De Haître, la sœur de Meloche, ce dernier était dépressif depuis
1973 et il aurait commis « plusieurs tentatives suicidaires antérieures
dont une qui eut pour conséquence la perte de l’œil droit. »[7]
Depuis la mort de sa mère, en mai 2001,
il abusait de l’alcool et son comportement devenait de plus en plus
autodestructeur.
Le corps de
Meloche était tellement calciné qu’on l’a identifié par ses empreintes
digitales. On ne découvrit aucune trace de drogue ni d’alcool dans son sang.
Au Québec, l’utilisation de l’expression
« tueur de masse » se fait plutôt parcimonieuse. À tords, on utilise
plutôt des qualificatifs moins précis, comme celui de « tueur fous ».
Cette dernière expression laisse entendre qu’on se retrouve systématiquement en
présence de maladie mentale, alors que ce type de motivation est beaucoup plus complexe.
Selon la classification, et je fais
ici référence au Crime Classification
Manuel (CCM-3)[8],
il est important d’utiliser les termes appropriés afin de tenter de mieux
comprendre la motivation des criminels, en particulier les auteurs de crimes
violents. Le terme de tueur de masse (mass murderer) désigne un criminel
violent qui n’agit pas comme un tueur à la chaîne (spree killer), par exemple.
À ma connaissance, le cas de Meloche comporte le plus long laps de temps entre la commission du crime et le suicide du tueur. Aux dernières nouvelles, les autres tueurs de masse qui ne se sont pas suicidés sur les lieux de leur crime sont toujours vivants. Le seul qui ait été libéré depuis, Denis Lortie, serait toujours en vie.
[1] « Triple
assassinat, un employé mis à pied est détenu sur mandat du coroner », La
Tribune, 8 octobre 1971, Revues et journaux québécois, Bibliothèque et
Archives nationales du Québec.
[2] Jean-Paul
Charbonneau et Lucien Rivard, « Un employé congédié tue trois patrons »,
La Presse, 8 octobre 1971, Revues et journaux québécois, Bibliothèque et
Archives nationales du Québec.
[3] Charbonneau et Rivard.
[4] Charbonneau et Rivard.
[5] « Une
tragédie qui rappelle celle de la Du Pont en 71... », Le Nouvelliste,
25 août 1992, Revues et journaux québécois, Bibliothèque et Archives nationales
du Québec.
[6] Claude
Paquin, « Rapport d’investigation du coroner sur le décès de Vincent
Meloche », Coroner (Montréal: Bureau du coroner du Québec, 20 janvier
2004).
[7] Paquin.
[8] John
E. Douglas et al., Crime Classification Manual, 3e éd. (Wiley, 2013).
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