Sault-au-Cochon, 75 ans plus tard

    


Le 9 septembre 2024 marque le 75e anniversaire de la tragédie de Sault-au-Cochon. Les plus jeunes entretiennent probablement une idée très sommaire de cette affaire, ou alors pas du tout, mais le 9 septembre 1949 a gravé dans l'histoire le tout premier attentat aérien commis en Amérique du Nord.

    À l'échelle mondiale, le tout premier attentat aérien a été commis quelques mois plus tôt, aux Philippines. Mes recherches en lien avec l'écriture des trois tomes concernant le crime de Sault-au-Cochon m'ont permis d'entrer en contact avec une descendante de la victime qui était ciblée et qui a été assassinée à Manille, aux Philippines, au printemps 1949. Elle a d'ailleurs accepté de me permettre de publier une photo de son ancêtre, une première mondiale, celle-là aussi. C'est bien pour dire où l'enquête documentaire peut nous conduire parfois.

Parlant de première, j'ai même dû contacter le FBI pour éclaircir certains points.

    Ceci dit, il n'en reste pas moins que la tragédie de Sault-au-Cochon, qui a fait 23 victimes, prend ses origines dans la motivation d'un mari qui souhaitait se débarrasser de sa femme afin de profiter pleinement de la vie avec sa jeune maîtresse. Théoriquement, on pourrait se rapprocher de ce qu'on désigne aujourd'hui comme un féminicide, mais en réalité, il s'agissait davantage d'un meurtre par passion, ou ce qu'on appelait à une certaine époque un crime par triangle amoureux.

    Albert Guay a d'abord voulu éliminer sa femme, Rita Morel, par empoisonnement, mais il semble que l'idée machiavélique s'est développée au contact de ses deux amis: Généreux Ruest, un réparateur de montres, et Marguerite Ruest Pître, la soeur de ce dernier.

    En septembre 1949, le plan se met en place. Rita Morel prend l'avion à L'Ancienne-Lorette à destination de Sept-Îles, soit disant pour aller récupérer des bijoux appartenant à son mari, qui en fait le commerce. Étrangement, il ne peut y aller lui-même, mais elle accepte tout de même d'y aller. Rita Morel monte donc à bord du DC-3 qui, peu de temps après son décollage, explose en plein vol, au-dessus de Sault-au-Cochon, au-delà de la municipalité de Saint-Joachim.

    Malgré la complexité de l'affaire, les enquêteurs de l'époque ont fait un travail remarquable, et Albert Guay est arrêté avant la fin du mois. Son procès pour meurtre révèle plusieurs détails, mais pas tous. C'est d'ailleurs l'erreur que plusieurs ont fait, dont l'ancien juge Dollard Dansereau, qui a écrit un chapitre sur ce crime dans les années 1970. On a pensé que les trois procès étaient identiques. S'il est vrai que la preuve dite technique a été très similaire à chaque fois, le reste a été très différents. D'ailleurs, il ne faut pas oublier que les trois accusés n'ont pas été impliqué de la même manière et que la preuve était forcément différente. Il faut donc lire les trois procès pour mieux comprendre.


    Dans le cas de Guay, il fallait prouver sa motivation à se débarrasser de sa femme et, aussi, qu'il était, en quelque sorte, le cerveau de l'opération. Voilà qui est un peu loufoque, car plus on découvre le personnage et plus on se dit qu'il n'y avait pas vraiment de leader dans ce trio meurtrier.

    Concernant Généreux Ruest, celui qui est probablement encore le plus "low profile" des trois, on devait prouver qu'il avait fabriqué la bombe et surtout qu'il savait à quoi elle devait servir. S'il avait dit à peu près n'importe quoi lors du procès de Guay, on a au moins appris que Ruest était un menteur chronique, tout comme Guay d'ailleurs. Lors du procès de Guay, on avait laissé entendre que Guay s'était présenté la veille du drame chez Ruest afin de récupérer la bombe. Toutefois, lors du procès de Ruest, on a éclairci davantage ce point: Guay est plutôt venu chercher la bombe le matin même du 9 septembre 1949. Ceux et celles qui ont omis ce détail dans leur résumé des faits - ils sont nombreux - prouvent indirectement qu'ils n'ont pas lu les transcriptions des trois procès pour boucler leur travail. Mais c'est fréquent dans le domaine. On présente au public des résumés, sans trop chercher en profondeur, et puis voilà. On passe inévitablement par-dessus certains détails. Et des détails, vous en trouverez en quantité suffisante dans les trois livres que j'ai consacré à cette affaire passionnante.

    Et puis arrive Marguerite Ruest Pitre. En fait, c'est sur elle que reposait ma question de recherche au départ, parce qu'on a remis en doute (et on le fait encore) sa culpabilité. En effet, Mme Pitre a été la toute dernière femme à avoir été pendue dans l'histoire du Canada. Mais tout comme dans l'affaire Coffin, il ne faudrait pas se laisser attendrir par toute l'horreur qu'on peut éprouver devant une exécution, et je ne dis pas ça parce que je suis pour ou contre la peine de mort, mais plutôt parce qu'il est essentiel de faire la distinction entre un verdict et une sentence. Le verdict détermine si l'accusée est coupable ou non, tandis que la sentence décide du sort qu'on réserve ensuite au condamné ou à la condamnée. À l'époque, il faut comprendre que la peine de mort était automatique dès qu'un individu était reconnu coupable de meurtre, c'est-à-dire homicide avec préméditation.

    Désolé mais, à moins qu'ils aient lu l'ensemble des transcriptions d'un procès, je n'ai plus beaucoup de respect pour les gens qui crient à l'injustice. Ils ne savent pas de quoi ils parlent, c'est tout. Et dans le cas de Mme Pitre, il y a un peu de ça, beaucoup peut-être.

    Avec le troisième procès, mais aussi tout au long de la trilogie, on apprend à connaître la vraie Mme Pitre. Et, surtout, on a accès à tous les éléments nécessaires qui nous permettent de forger notre propre verdict.   

    Non seulement on devrait se souvenir de l'affaire de Sault-au-Cochon comme du premier attentat aérien en Amérique du Nord, mais aussi comme un crime d'une rare singularité. Après tout, on n'a pas revu un crime du genre depuis cette époque. Évidemment, la dynamite n'est plus en vente libre dans les quincaillerie et la sécurité dans le milieu du transport aérien a été resserrée, mais je n'ai pas revu de dossier dans lequel un homme est conscient de tuer 22 innocents pour se débarrasser de sa femme.

    Par ailleurs, j'espère qu'on s'intéressera de plus en plus à notre passé criminel. Au lieu de l'ignorer ou de faire semblant qu'il n'existe pas, il est pourtant le témoin d'une face encore cachée ou mal connue de notre histoire, et par conséquent de notre identité en tant que société.


    

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