Les dossiers de police de 1923

 


Les dossiers de police de 1923

Comme j’en ai maintenant pris l’habitude, j’ai encore demandé l’accès aux anciens dossiers de police du fonds E-100 à BAnQ. Il s’agit du fonds d’archives de ce que l’on appelait à l’époque la Sûreté provinciale, qui est devenue plus tard la Sûreté du Québec.

Pour l’année 1923, le sac à surprise nous présente deux dossiers qui nous en apprennent encore une fois sur notre passé. Le premier, le plus volumineux des deux, concerne la mort d’un jeune homme de 18 ans, Alphonse Loignon.

Un mystérieux accident de chasse

 Le 17 septembre 1923, Alphonse Loignon a décidé d’aller chasser le chevreuil avec des amis à Pontbriand, dans la région de Thetford Mines. Caché derrière un buisson, il s’est soudainement redressé en entendant un bruit qu’il a certainement associé à la présence d’un gibier. C’est à ce moment que, croyant voir un chevreuil, un autre mystérieux chasseur qui avait visiblement eu la même idée que lui, a tiré.

Loignon s’est effondré. Il était déjà mort.[1]

Dans son édition du 20 septembre 1923, le journal Le Droit mentionne la présence de chasseurs qui guettaient eux aussi le gibier à l’aide d’une lumière « Jack ». Même si on ne nous explique pas ce qu’est une lumière « jack », le détective Verret en parle aussi dans son rapport.

Puisque les autorités locales ne semblaient pas en mesure d’éclaircir cette affaire, car les chasseurs fautifs étaient tous retourné chez eux sans qu’on sache lequel d’entre eux avait tiré le coup fatal, on a fait appel à la Sûreté provinciale. Le premier détective à débarquer sur les lieux était Verret. Il a d’abord rencontré le coroner, puis interrogé un certain Wilfrid St-Pierre, qui a bien voulu lui montrer son fusil de calibre .12. Mais l’épouse de ce dernier a confirmé son alibi au soir du 17 septembre. Bref, Verret a interrogé plusieurs personnes mais tous avaient des alibis. Il a donc fait rapport à ses supérieurs le 24 septembre 1923. L’affaire restait au point mort.

À croire que l’État-major de la Sûreté provinciale voulait aller au fond des choses, puisque le détective Verret y est retourné le 28 septembre. Cette fois, il a rencontré le constable John Cookson, qui l’a informé qu’un certain Édouard Roussin possédait une carabine de calibre .44 mais qu’il ne s’en était pas servi depuis un an.

Il a ensuite rencontré Alonzo Perreault, Anthime Bisson et Léo Nolet, des chasseurs reconnus pour chasser « au jack ». Mais Perreault lui a remis un affidavit pour démontrer son alibi au soir du crime. Puisqu’aucune piste sérieuse ne s’ouvrait devant lui, le détective Verret s’est rendu jusqu’à Robertsville pour y rencontrer d’autres chasseurs qui avaient l’habitude d’utiliser une lumière « jack ». Encore une fois, tout ce beau monde a présenté un alibi.

En octobre, c’est un détective du nom de Beauchemin qui a été envoyé sur les lieux afin de poursuivre l’enquête. Celui-ci a remarqué qu’Athanase Pomerleau avait dit à son collègue Verret ne pas être allé à la chasse de tout l’automne, alors que maintenant il avouait devant lui être allé la veille du crime. Le neveu de Pomerleau a d’ailleurs confirmé le mensonge, à savoir qu’il pouvait prouver être allé à la chasse avec lui au soir du 16 septembre, et cela en utilisant des lumières « jack ».

Beauchemin a également appris que, dans l’après-midi même du 17 septembre, Athanase Pomerleau s’était rendu à Thetford Mines pour s’acheter une carabine neuve de calibre .16 à deux coups. D’autre part, le soir du 17 septembre, alors que Monsieur Loignon se rendait en voiture à cheval récupérer le corps de son fils, il a vu une autre voiture à traction animale se diriger vers le village. Il était environ 19h00 ou 19h30. Et selon deux jeunes femmes qui passaient par-là, il s’agissait du cheval blond de Pomerleau.

À tout le moins, Beauchemin a réussi à retenir quelques témoins pour l’enquête du coroner, qui s’est finalement tenue le 27 octobre 1923. Mais c’est tout ce qu’il arrivera à accomplir.

Le coupable était-il Athanase Pomerleau, qui mourrait d’envie d’essayer son arme toute neuve?

Ce qui semble certain, à tout le moins, c’est que dans les campagnes de Thetford Mines la loi du silence pouvait être aussi puissante que celle du crime organisé. Personne n’a jamais été accusé pour la mort d’Alphonse Loignon.

À cette époque, comme aujourd’hui, cet incident était du niveau d’un homicide par négligence criminelle. Si on avait démontré à un jury l’aspect accidentel, le fautif s’en serait peut-être même sorti avec un acquittement ou un verdict d’homicide involontaire accompagné d’une sentence légère.

Mais voilà! Il en fut autrement et l’affaire de cet « accident » de chasse qui a coûté la vie au jeune Loignon en 1923 reste une affaire non élucidée.

Un néonaticide non résolu

La seconde enquête dévoilée par la levée du scellé de 100 ans concerne le petit cadavre d’un nouveau-né retrouvé près de Cacouna en août 1923. Cette fois c’est le détective Bégin qui a été envoyé sur les lieux.

Selon lui, deux jeunes garçons de 12 ou 13 ans, Bob Jean MacKay et Hamilton Danlop, avaient découvert le corps. L’enquête du coroner a eu lieu le 5 août 1923. Le verdict était à l’effet que « l’enfant avait été noyé par une main criminelle », écrivait Bégin à ses supérieurs.

Ce qui nous paraîtrait aujourd’hui très loin d’une logique d’enquête mais qui à l’époque était une bonne idée, c’est que le détective Bégin est allé à la rencontre du curé de Cacouna. Grâce à ses visites paroissiales régulières, celui-ci aurait effectivement pu constater quelques détails permettant d’orienter l’enquête. Malheureusement, le curé n’avait rien remarqué de spécial chez ses fidèles paroissiens. « Cependant », mentionnait Bégin dans son rapport, « il me désigna une couple de familles qu’ils étaient plus ou moins religieux. »

Le détective Bégin a aussi rencontré le maire, qui s’est montré d’avis que le bébé provenait certainement d’étrangers de passage dans la région. « C’est aussi mon opinion », a écrit Bégin. Sautait-il trop hâtivement aux conclusions?

Bref! Difficile d’en juger. Nous n’étions pas dans ses souliers de 1923.

Le seul point intéressant qu’a fourni l’enquête du coroner, c’est qu’on a pu établir que l’enfant était vivant à sa naissance. D’autre part, si on pouvait être certain qu’il s’agissait d’un nouveau-né, c’est-à-dire un poupon âgé de 24 heures et moins, avec les connaissances que nous avons aujourd’hui de la classification criminelle, il aurait fallu rechercher une jeune mère de moins de 25 ans avec peu de scolarité et évoluant probablement dans un milieu de pauvreté. Plutôt que d’orienter l’enquête vers des familles « moins religieuses », il aurait été préférable de rendre visite à celles qui avaient le plus de difficulté à joindre les deux bouts ou au sein desquelles régnait un certain climat malsain.

Bref, voilà deux causes intéressantes et qui n’ont jamais été résolues et qui, jusqu’à aujourd’hui, avaient été oubliées depuis longtemps.

Pour les dossiers de 1924, on se dit à l’an prochain!

 

 



[1] Selon le contenu du dossier d’enquête, ce n’est pas clair à savoir si Loignon a été atteint d’une décharge de fusil de chasse ou d’une balle de carabine.

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