Trajectoire: Marcel Canuel, restrictions archivistiques et confidentialité (6/100)
Mercredi, 1er novembre 1995
Marcel Canuel, 44 ans, était secrétaire-adjoint
au Commissaire à la déontologie policière du Québec à Ste-Foy, anciennement la
Commission de police du Québec.
-
Est-ce que, dans le cadre de vos fonctions, vous avez accès à des
dossiers?, lui demanda Me Pierre Gagnon, l’avocat des requérants.
-
Oui. Pour le Commissaire.
-
Vous avez accès aux dossiers de la Commission de police?
-
Aussi, oui.
Me Pierre Gagnon fit reconnaître au témoin une lettre de deux
pages qu’il avait adressé à Jacques Dupont, l’un des requérants, et laquelle
portait la date du 19 janvier 1993. L’avocat de la famille lui demanda de
raconter les démarches ayant précédées la création de cette lettre.
-
Je me suis rendu aux Archives nationales[1], suite aux
demandes du Commissaire, Maître Fernand Côté, à l’époque, qui avait reçu une
demande de monsieur Dupont. Alors, je me suis rendu aux Archives nationales
dans un fonds d’archives qui sont classées historiques, qui appartiennent
maintenant au Commissaire à la déontologie policière, qui étaient des documents
de la Commission de police. Seul le Commissaire y a accès. Puis on m’a donné
une autorisation écrite me permettant d’aller faire de la recherche pour le
Commissaire et j’ai vérifié les procès-verbaux. J’ai vérifié les renseignements
que le Commissaire m’avait demandé de vérifier.
-
Donc, cet examen-là vous permet d’affirmer que le témoin numéro
42, monsieur Louis-Georges Dupont, a témoigné une seule fois dans la soirée du
17 septembre 1969, entre 20h45 et 22h20?
-
Oui, Maître Gagnon. Et, suite à la rencontre que j’ai eue avec
vous la semaine dernière, je suis retourné lundi de cette semaine aux Archives
nationales, toujours avec l’autorisation du Commissaire, Maître Denis Racicot,
pour m’assurer que ces informations étaient exactes.
Selon le procès-verbal de la CPQ, il n’a pas été le seul à
comparaître entre 20h45 et 22h20. La commission a également entendu les
détectives Fernand Gendron, Jean-Marie Hubert, Clément Massicotte, ainsi que le
capitaine-détective Georges Gagnon. Ainsi, un calcul rapide permet de constater
que durant cette période de temps, qui s’échelonne sur une durée de 1h35, cinq
hommes de la section de la Sûreté (les enquêtes criminelles) ont témoigné devant
la Commission de police. On se retrouve donc avec une moyenne de 19 minutes de
comparution pour chacun d’entre eux.
-
Maintenant, reprit Me Pierre Gagnon, est-ce qu’il aurait pu
témoigner à une autre occasion? Est-ce que vous avez constaté ça?
-
J’ai vérifié, formellement, il n’y a pas eu d’autres témoignages
de monsieur Dupont, que cette date que j’ai mentionnée.
-
Maintenant, dans ce document-là, vous mentionnez également
l’absence de notes sténographiques?
-
Dans le dossier qui est aux archives, effectivement, il n’y a pas
de notes sténographiques.
-
Alors, je comprends que vous avez consulté ce dossier-là de la
Commission de police, là, P-6933?
-
Le dossier n’existe plus, Maître Gagnon. Il a été détruit,
probablement selon les directives de la Commission de police au travers des
années. Il y a eu plusieurs dossiers de détruits. Ce qui existe, actuellement
aux Archives nationales, qui a été conservé comme document historique, dans ce
dossier-là, et qui fait partie du fonds confidentiel, ce sont les exhibits et
les procès-verbaux de l’audition.
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Maintenant, les rapports?
-
Les rapports sont conservés au bureau du Commissaire, ils sont
tous gardés là. Il y a 685 rapports de la Commission de police qui sont
conservés, dont les rapports que vous avez demandés.
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Alors, dans le rapport du dossier P-6933, ça, vous l’avez?
-
Oui.
-
Vous avez également le rapport dans le dossier P-822262?
-
Je les ai apportés avec moi.
Le rapport P-6933, qui était le rapport de la CPQ daté du 29
décembre 1969 fut déposé en preuve sous la cote R-49. Peu après, Me Pierre
Gagnon lut un extrait de ce document, qui était en réalité une recommandation à
l’effet « que le lieutenant-détective Jean-Marie Hébert [Hubert] soit
destitué du corps de police pour les motifs énoncés au chapitre 3 de la partie
2 du rapport confidentiel ».
-
Alors, il est précisé, on dit : « au chapitre 3 de la
partie 2… » Je comprends qu’il y avait deux parties?
-
Oui, monsieur.
-
Alors, la deuxième partie, est-ce que vous l’avez consultée?
-
Je ne l’ai pas consultée, monsieur.
-
Pourquoi?
-
C’est un document confidentiel, je n’ai pas à le lire.
-
Vous n’avez pas accès à ce document-là?
-
Je peux y avoir accès, je l’ai demandé au Commissaire et on ne m’a
pas autorisé à le lire, monsieur.
-
Donc, vous n’avez pas pu prendre connaissance de la partie 2?
-
Non, monsieur.
-
Savez-vous en quelle année on va pouvoir prendre connaissance de
la partie 2?
-
Vous pouvez demander au … les documents confidentiels, dans ce
dossier-là, ont été classés jusqu’en l’année … c’est 150 ans, le délai.
-
150 ans?
-
Oui, de dépôt.
-
Donc, 1969, on calcule …
-
Je peux vous donner la date exacte, si vous me donnez …
-
Si vous l’avez, oui.
-
2079, répondit le juge St-Julien. On ne sera pas là.
-
Ça va être historique, renchérit Me Claude Gagnon.
Après une brève discussion concernant le prochain ajournement, le
témoin Canuel rétablit le calcul, spécifiant que le scellé sur ces documents
serait levé seulement en l’an 2129. Donc, le délai était de 160 ans.
Ensuite, il fut question du dossier P-822262, à savoir celui de
l’enquête menée par la CPQ en 1982 et qui avait recommandé, entre autres, le
congédiement du détective Lawrence Buckley pour « intimidation et
extorsion », comme le lira Me Pierre Gagnon.
Puisque Me Claude Gagnon n’eut aucune question à soumettre au
témoin, le juge ajourna pour une pause de 15 minutes.
Réflexion conclusive
Une recherche dans Pistard, le
catalogue archivistique de BAnQ, nous permet de constater que le fonds E79 de
la Commission de Police du Québec contient plus de 450 boîtes d’archives.
Plusieurs d’entre elles comportent des restrictions de consultation jusqu’en
2074. En fait, ce fonds s’étend sur 95,39 mètres linéaires de documents
textuels couvrant la période de 1966 à 2005. Il contient également 14 bandes
magnétiques.
La notice de BAnQ présente le fonds en ces termes : « La
Commission de police du Québec a été instituée en 1968 par la Loi de police.
D’importantes modifications ont été apportées au mandat et aux pouvoirs de cet
organisme par la Loi modifiant la Loi de police, sanctionnée en 1979 et entrée
en vigueur l’année suivante. Selon le rapport annuel 1980-1981 du ministère de
la Justice du Québec : « La Commission de police du Québec est
chargée de favoriser l’efficacité des services de police au Québec ». À
cette fin, le législateur lui a conféré des pouvoirs de divers ordres, à savoir
un pouvoir quasi judiciaire, un pouvoir de réglementation et un pouvoir
administratif. En vertu de son pouvoir quasi judiciaire, la Commission doit
faire enquête, chaque fois que le gouvernement lui en fait la demande, sur tout
aspect de la criminalité qu’il lui indique. Elle peut aussi être appelé à faire
enquête sur la Sûreté du Québec ou sur tout corps de police municipal, ainsi
que sur la conduite de leurs membres, de tout constable spécial ou de toute
autre personne qui agit au Québec en qualité d’agent de la paix ».[2]
Dans ce cadre, et cela au cours de plusieurs années, la CPQ a été
emmenée à procéder à plusieurs enquêtes dans différentes municipalités à
travers la province.
Par ailleurs, on comprend par le
témoignage de Marcel Canuel que Louis-Georges Dupont n’a témoigné qu’une seule
fois en 1969, soit le 17 septembre. Malheureusement, l’absence des notes
sténographiques nous empêche de connaître la teneur de ce témoignage, ainsi que
ceux de ses collègues. Dans le domaine de la gestion documentaire, il n’est
cependant pas rare de procéder à un élagage afin d’économiser de l’espace
physique.
De plus, les méthodes d’acquisition, d’accroissement et de
conservation avant la Loi sur les
archives[3] de 1983 sont
difficiles à retracer.
Ainsi, il est impossible – voire
malhonnête – d’interpréter un vide archivistique. Car si le document n’existe
pas ou a été détruit, personne ne peut l’interpréter, que ce soit dans un sens
ou dans l’autre.
Un scellé de 160 ans a de quoi
marquer l’opinion publique, en particulier les gens qui ne possèdent aucune
notion en matière de gestion documentaire. Or, Le Nouvelliste n’en souffla aucun mot dans sa publication du
lendemain matin.[4]
Pour tenter de mieux comprendre ces délais qui, souvent, servent
d’argument aux théories du complot, il faut s’informer sur le contexte de
diffusion des archives. « Dans une conférence prononcée en 1992, Jean
Goulet attribuait à l’archivistique des responsabilités que ses praticiens
ignoraient peut-être : « L’archiviste est maintenant reconnu comme un
professionnel de l’information vivante et il devient à ce titre responsable de
la circulation de renseignements à propos desquels la législation impose
parfois la divulgation, parfois le silence, et même, à l’occasion,
l’oubli. »[5] Ces responsabilités
doivent se concrétiser dans le contexte d’un encadrement législatif important
et en tenant compte d’une population qui s’est éveillée au problème de la
protection des renseignements personnels avec la constitution des banques de
données informatiques et avec le développement du rôle omniprésent de
l’État. »[6]
[1]
Les Archives nationales ont fusionné avec la Grande Bibliothèque le 31 janvier
2006, devenant ainsi BAnQ.
[2] http://pistard.banq.qc.ca/unite_chercheurs/description_fonds?p_anqsid=201810172031044342&p_centre=03Q&p_classe=E&p_fonds=79&p_numunide=900
[3] Loi sur les archives.
[4] Nancy Massicotte, « Affaire Dupont:
témoignage du pathologiste Roh », Le Nouvelliste, 2 novembre 1995,
Revues et journaux québécois, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
[5] Colloque Les archives non textuelles :
réflexions théoriques et expériences pratiques et Université Laval, Les
archives non textuelles : réflexions théoriques et expériences pratiques :
actes du colloque, 20 novembre 1991 (Québec: Université Laval, 1992),
http://ariane.ulaval.ca/cgi-bin/recherche.cgi?qu=01-0055451.
[6] Carol Couture, Les fonctions de
l’archivistique contemporaine (Sainte-Foy: Presses de l’Université du
Québec, 2005), https://cap.banq.qc.ca/notice?id=p::usmarcdef_0000544853.
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